lundi 30 juillet 2012

Les Raves se racontent au Présent 1.5


Episode 1.5 : Au fond du Rêve

 

Il fait nuit.

Je marche au fond des bois.

Bouleaux, chênes, châtaigners... les arbes en ombres chinoises se dressent au-dessus d'un sous-bois aux buissons épars ; houx, ronces...

Dans le coton noir de leur feuillage se dessinent des oasis de ciel piquetées d'étoiles.
Le nez en l'air, je trébuche sur une pierre.
Pris dans mon élan, je cours en freinant des pieds ; le sentier étroit descend en pente abrupte entre les arbres couverts de lierre.

Je cours, je freine, les bras tendus en avant pour éviter de m'en prendre un.
Miraculeusement, j'arrive en bas de la pente sans tomber.
Toujours debout, je pose les mains sur mes cuisses pour reprendre mon souffle.
Derrière moi, au loin, j'entends toujours cette vibration lointaine, rythmée ; ce son que je fuis.

Je fuis les montres molles qui ne sont pas des montres et les chiens qui parlent.

Je reprends ma marche entre les fourrés.
Le sentier descend toujours, mais moins fort.
Il descend vers ce qui ressemble à une clairière, au fond d'une vallée.
L'ombre d'une maison se dessine en son centre. Une maison toute petite ; à peine assez grande pour contenir une pièce. Elle est coiffée d'un toit dont le faîte forme un segment minuscule chevauché par une cheminée qui fume.

Sortant des bois, je pénètre dans la clairière.

La maison est entourée de rosiers, eux-mêmes encadrés d'un par-terre multi-incolore de tulipes. Le sentier coupe à travers les fleurs, jusqu'à une porte sombre au sommet arondi.

Je me penche pour humer une tulipe.
A mesure que je m'approche d'elle, je distingue sa couleur ; bleu-irisée.
Elle dégage un parfum sucré.
Je la touche du doigt ; ses pétales sont collant de pollen.
Elle sent le sucre d'orge.
Je tire la langue, je la pose dessus...
C'est du sucre !
Je casse la tige...
Toute la fleur est en sucre d'orge !

Je croque un pétale.

Il fond immédiatment dans ma bouche pour couler, onctueux, tapisser ma gorge d'un velours liquide.

Je regarde la maison.
Je distingue mieux la porte ; elle est entrouverte.

Je m'approche, passe entre les roses... dans un nuage invisible mais presque collant de sucre.

J'avance le bras, pose la main sur la porte... mes doigts se retrouvent gluants d'une matière noire et visqueuse.

Je renifle un doigt, lèche un coup ; du chocolat !
Du chocolat noir, qui chatouille les papilles gustatives.
Toute la porte est en chocolat.
Quant-au mur, brun , poreux... j'en arrache facilement un morceau des doigts.
J'en mange un morceau ; c'est du pain d'épices.

Je me retourne, m'attendant à voir débarquer Hansel et Grettel, les personnages de Grimm... un petit garçon et sa sœur s'apprêtant à rencontrer la méchante sorcière.

Personne.

C'est une toute petite clairière. Au-dela des tulipes, une simple bande herbeuse borde la lisière des arbes.

Je reviens vers la porte.
Que faire ?
Je devrais m'enfuir.
Si je pousse cette porte, je me ferai dévorer par une sorcière.
Je décide de tourner les talons et partir.

Mais mon bras se tend à nouveau en avant. Je pousse délicatement la porte, j'avance, la fleur à la main...

L'intérieur est beaucoup plus grand que l'extérieur !
Il n'y a qu'une pièce, mais elle est immense.
Les murs sont en briques de pain d'épice. Il y en a huit, formant un parfait octogone. Alors que l'extérieur était carré !

Pas une seule fenêtre.

Des fioles en verre, des bocaux en terre étiquetés d'une écriture serrée et soigneuse, des livres et parchemins en rouleaux sont étalés sur des étagères moulées dans un chocolat plus clair, probablement au lait.

J'ai soif.

Sur ma droite, une cheminée encastrée dans un mur brûle un feu qui ne dégage apparemment aucune chaleur. Elle ne devrait pas être là.
En fermant les yeux, je vois encore le toit, la cheminée en son milieu...
Elle devrait trôner au centre de la pièce.
De toute façon, elle brûle, mais ne chauffe pas.
Il y a une chaleur, qui vient de la direction opposée.

Je ne suis pas seul.

Sur la gauche, un enfant rêvasse, assis dans un fauteuil dont les coussins semblent en fourrure, et les accoudoirs en bois.

Enfin un meuble normal.

Le jeune garçon a les cheveux tellement noirs ! Coiffés en battaille. On dirait un simple trou dans la réalité, taillé en étoile. Devant lui, posée sur une table contre un mur, une pierre de la taille d'un poing rayonne d'une lumière rougeoyante.

Le garçon, vêtu d'une tunique bleue à l'aspect moyennâgeux, arrache le bout d'un accoudoir de son fauteuil. Il le porte à sa bouche, en croque un morceau. Il mâche un peu, laisse fondre et dit, en tendant le morceau d'accoudoir vers la pierre :

« C'est comme une lumière invisible, mais qui brûle, lentement. Elle brûle la peau et te brûle aussi à l'intérieur. »

Sa voix est jeune ; il n'a pas plus de onze ans.

« Tu chauffes, répond une voix graveleuse sur sa gauche. »

Près du fauteuil est couché un loup gris, lui aussi tourné vers la pierre.
C'est lui qui a parlé !
Grand, les poils hirsutes... un loup effrayant !

« Ah, je chauffe, demande l'enfant ? »

Quelques secondes passent.
Le garçon reprend :

« La lumière passe à travers le verre. Mais pas à travers les murs.
- Là, tu brûles. »

L'enfant croque encore un morceau d'accoudoir. La bouche pleine de chocolat, il dit :

« Cette lumière là passe aussi à travers le vivant ; une boîte en bois ne servirait à rien...
- Il faudrait du plomb, interviens-je. »

Le garçon sursaute.
Le loup s'est levé d'un bond. Il se trouve maintenant entre moi et le fauteuil.
La tulipe toujours à la main, je recule d'un pas.
L'enfant me regarde, à demi-levé, pesant des bras sur ce qui reste de ses accoudoirs.

Comment fait-il pour ne pas casser le chocolat ?

« Qui es-tu, interroge-t-il ? »

Je réfléchis un instant, puis répond :

« Je ne sais pas, je... j'ai oublié mon nom ! Je crois que je rêve. »

Le garçon aux cheveux noirs se lève.
Il s'approche, se place près du loup, lui flatte l'encolure.
Levant la tête vers moi, il réagit :

« Moi, je sais que je rêve. Ce rêve là, c'est le mien. Qu'est-ce que tu viens faire dans mon rêve ?
- J'en sais rien, je... je suis arrivé par hasard ! »

L'enfant penche la tête sur le côté.

« J'ai le parfait contrôle de mes rêves, et le pouvoir d'empêcher les gens d'y venir.
- Sans blagues, réponds-je, narquois. Et tu vas me dire qu'à ton âge t'es déjà le plus grand magicien du monde ? »

Pendant un instant, le garçon crispe la mâchoire. Je vois danser ses tempes sous ses mèches noires.
Il inspire un grand coup et dit :

« Ha, ha, ha ! T'es un marrant ! Figure-toi que dans mes rêves, j'ai l'âge que je veux ! Je fais ce que je veux des rêves, les miens comme les autres. Si tu veux traverser tes songes à poil jusqu'à la fin de tes jours, vas-y ; fais le malin, qu'on rigole !
- Excuse-moi, pardon ! »

Il penche encore la tête de côté, semble réfléchir un instant.

De sa voix rauque, le loup rompt le silence :

« Quoi, ça te dérange, d'être tout nu en société ? Est-ce que je porte des nipes, moi ?
- Je suis désolé ! Je voulais pas vous déranger !
- Qu'est-ce que tu veux, alors ?
- Je voudrais juste me réveiller. J'ai l'impression que ça fait un moment que je passe de rêve en rêve. »

Le loup lève le museau vers l'enfant. Celui-ci penche son oreille sur lui. L'animal murmure ainsi quelques secondes. Le garçon se relève. Il me demande :

« On est en quelle année ?
- Pardon ?
- Toi, dans tes rêves, tu oublies ton nom. Moi, quand on me dérange, c'est la date que j'oublie.
- Ah ! Heu... deux-mille-vingt-quatre. »

Le garçon siffle entre ses dents. Le loup s'exclame :

« Dis-donc, tu fais pas les choses à moitié, toi !
- Plaît-il ?
- Non, rien... t'occupes. Il convient, termine-t-il à l'intention de l'enfant.
- D'accord, répond le garçon. »

Il s'avance vers moi, tend la main avec un sourire éclatant et annonce :

« Moi, c'est Marzhin.
- Enchanté, réponds-je en lui serrant la main.
- J'ai le pouvoir de te réveiller, poursuit-il en me lâchant. Mais avant, tu vas devoir répondre à une énigme.
- Comme le sphinx ?
- Non, pas comme le Sphinx, intervient le loup. Comme Oedipe. Le sphinx est la personne qui pose les questions.
- Oui, enfin, une personne... il avait quand-même un corps de lion.
- De lionne, s'il te plaît. Et avant que tu dises n'importe quoi sur elle, c'est une excellente copine. »

Je réfléchis un instant. Finalement, je dis :

« Ok. Posez-la, votre énigme ! »

Le garçon joint alors les doigts des deux mains.
Il penche la tête, les yeux fermés.
Au bout de quelques secondes, il la relève et commence :

« Quelle pierre donne le mal de mer, mais sur terre ; brûle comme le Soleil, mais aussi à l'intérieur ; et fait pleuvoir la coiffe avant l'heure ? »

Un ange passe.

Je dis :

« Cest ça, votre énigme ? »

Pas de réponse.

« Si je trouve pas, qu'est-ce qui m'arrive ?
- Je t'envoie dans un autre rêve, répond l'enfant.
- Ah ! Eh bien, c'est l'uranium. Vous n'en auriez pas une plus dure, par hasard ? J'aime bien, les énigmes.
- L'uranium ?
- Une pierre qui brûle tout ce qui l'entoure, mais lentement. Elle est radioactive. Faites attention, c'est mortel !
- Et tu dis qu'en la mettant dans une boîte en plomb, j'élimine son pouvoir ?
- Oui. Enfin, normalement ; je ne suis pas physicien nucléaire !
- Merci. »

Il me contemple encore un instant, puis...

« Réveille toi, termine-t-il en levant une main vers moi ! »

De son index jaillit un jet d'une eau chaude et humide.
Elle m'asperge le visage tandis que le décor se brouille dans un fondu au noir.

Je ne suis pas debout mais allongé.
Sur le dos, dans l'herbe.
Le jet m'asperge toujours, mais ce n'est pas de l'eau !

Ca sent l'urine !

Un haut le cœur remonte le long de ma gorge.
Je m'assois d'un bond.
Il fait toujours nuit.

Je me retrouve en présence d'un chien énorme.

Un chien gris, comme le loup, mais du genre chien de traineau ou lévrier.
Il me regarde, la patte arrière encore levée.
Une double cicatrice lui barre la gueule, encadrant l'oeil gauche.
Le jet d'urine faiblit, se tarit... le chien secoue la patte et la repose.

Ecoeuré, je m'exclame :

« Mais, tu m'as pissé dessus !
- Désolé, répond le chien. Je t'aurais bien léché la gueule pour te ranimer, mais tu t'es vomi dessus ! »

Il a la même voix que le loup de mon rêve.
Je suis envahi d'une odeur épouvantable, mélange de bile et d'urine de chien.
Il fait toujours nuit.
Je suis assis dans l'herbe, une jambe en tailleur, l'autre allongée, près d'une voiture grise.
Le ciel est plein d'étoiles.
Vers le sud, diverses vibrations me parviennent, provenant d'au moins trois points différents, couvertes de musiques qui s'entremêlent.
La terre tremble.

« Oui, eh bien, reprends-je d'une voix pâteuse, je dois pas être réveillé ; t'es un chien et tu parles !
- Je suis d'espèce canine et... »

Je connais bien cette musique.
L'animal semble chercher ses mots. Finalement il reprend :

« Disons que tu te réveilles, mais par paliers. Va pas te réveiller brutalement, sinon t'auras une journée pourrie. C'est comme en plongée : on remonte, mais par paliers de décompression.
- Ah bon ?
- Comment tu te sens ?
- Vaseux, malade, et au pif ; je pue. Qu'est-ce qui s'est passé ? »

De la techno ! C'est de la musique techno, à tendance harcore.
Mais alors, il y a plusieurs sons qui s'entremêlent.

« T'as fait un malaise. J'ai dû virer les guignols pour te venir à l'aide. »

Le nez et les mains en l'air, doigts écartés, je m'insurge :

« C'est ça que t'appelles me venir à l'aide ?
- Je te l'ai dit ; je t'aurais bien léché la gueule, mais t'es couvert de vomi. Tous les chiens ne sont pas amateurs de choses dégueulasses ! »

J'ose à peine bouger. Je demande :

« Quels guignols ?
- Toi, mon gars, t'en tiens une ! Un crétin avec un t-shirt « Je suis écolo, Je ne chasse que les filles ! » et sa copine toxico !
- Heuh...
- C'est pas grave ! »

Soudain, la portière arrière de la voiture s'ouvre.
D'une voix à peine audible, le chien s'exclame :

« Je parle pas, t'entends ? »

Un barbu sort la tête et une jambe du véhicule.
Il porte un jean.

« Ce n'est qu'une mauvaise pilule à avaler, dit-il en se dépliant hors de la voiture. »

L'autre jambe sort, suivie des pans d'un long manteau sombre.
La portière avant s'ouvre aussi.

« Mais tu vas voir, poursuit le barbu... »

Il me voit et se fige.

« Qu'est-ce qui s'est passé, s'étonne-t-il ? »

A l'avant, un jeune homme brun aux cheveux assez courts me contemple avec une légère grimace de dégoût. Le chien s'avance vers le barbu. Il se met à pigner, comme pour avoir quelque-chose.

Je réponds :

« Je suis tombé dans les pommes, j'ai gerbé et ton clebs m'a pissé dessus. »

Etonné, il regarde son chien. Il lui prend le museau dans les mains, l'air interrogateur. Ce dernier gémit encore.

« Eh bien, reprend le barbu, on n'est pas en finale. »

Grisonnant, il doit approcher la cinquantaine. Son manteau laisse entrevoir une chemise grise.
Toujours les yeux sur moi, le jeune me dit :

« Je dois avoir un change à ta taille, si tu veux. Et des bouteilles d'eau dans le coffre. »

Je réponds :

« Merci ! En fait, heu... je veux bien ! »

De l'autre côté de la voiture, la porte avant s'ouvre aussi. Une fille en descend. Les cheveux mi-longs, noirs, elle jette un œil sur moi, fait la moue, puis...

« Ca tombe bien, prenez votre temps, je vais au petit coin !
- En pleine nature, réagit le jeune homme ?
- Pas le choix, répond la fille.
- Attends-moi, au moins ! Je vais faire le guet !
- Pas le temps. Je vais par là, termine-t-elle en montrant des bosquets, plus loin. T'as qu'à me rejoindre ! »

Elle ferme la portière, puis se dirige vers le fond du champ.
Le jeune homme jaillit de son véhicule. Il en fait le tour, ouvre le coffre. Il en sort un sac de sport et une bouteille d'eau. Même à la lumière des étoiles, on voit ses muscles travailler, à travers un t-shirt serré noir.
Il pose son chargement dans l'herbe, ferme le coffre et dit :

« Partez pas sans nous ! »

Le gars fait deux pas vers le fond du champ, semble se souvenir de quelque-chose et revient. Il me demande :

« Ils sont passés où, les autres ?
- Quoi, les guignols ?
- C'est ça, ouais ! Les guignols !
- Eh bien, le chien les a coursés et... ils sont partis. »

Un ange passe.
« Ok, réagit-il finalement. »

Il se penche vers le chien, pose sa main sur la tête de l'animal et dit en le caressant :

« Merci, vieux. Tu me tire une épine du pied ! »

Le chien émet un aboiement bref. Le gars se relève. Il lance encore :

« On n'en a pas pour longtemps. »

Enfin, il tourne le dos et s'enfonce dans le champ couvert de voitures, la brume aux pieds.

A suivre...

Eric Gélard 

1 commentaire:

  1. J'ai trouvé comment régler les commentaires sans obliger les gens à s'inscrire, lol

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