dimanche 22 juillet 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.4



Episode 1.4 : Interlude (Viviane)



Quelque part dans une légende...

La mi-journée approche, mais Viviane n'a pas quitté le lit.

Elle se sent toute petite, au milieu des baldaquins.


Mais c'est son lit... rassurant ; confortable.

La nausée ne la quitte plus.
C'est comme un mal de mer permanent, sans le roulis des vagues.

Autour d'elle, deux commodes ouvragées, un gros coffre en bois, une table de toilette entourée de miroirs, une autre table couverte de pierres de toutes les formes, une grande bibliothèque présentant non pas des livres, mais des galets de toutes les couleurs... et le chat, bleu-gris, ébouriffé comme un nuage. Il est couché sur une chaise rembourrée de coussins roses.

Des murs couverts de tapisseries, trois fenêtres, une porte...

Celle-ci s'ouvre.

Un vieillard entre dans la chambre.

Il porte un long manteau vert qui tombe comme une robe délicatement ouvragée. Une imposante barbe blanche repose dessus. Mais le haut de son crâne est lisse comme la peau d'un bébé.

C'est Mog ; juste Mog.

Il est craint par tous les sujets du royaume, ou presque.

Certains disent qu'il est le fils d'un démon, d'autres qu'il peut vous foudroyer d'une seule pensée, même de l'autre bout du Monde...

Viviane s'en fiche ; c'est Mog. Son Mog.

Il s'approche. Un bol en terre fume dans une de ses main.

Il dit :

« Comment vous sentez-vous ? »

Elle répond :

« J'ai mal au cœur. Ma peau me démange... regarde ! »

Elle tire une mèche de ses cheveux déjà épars. Ils viennent sans résistance.

« Je les ai presque tous perdus. »

Le vieillard prend délicatement la mèche de sa main libre.

« Qu'est-ce que j'ai, demande Viviane ? »

L'homme s'assoit sur le bord du lit. Il tient toujours le bol en terre.

« Je ne sais pas, répond-il d'une voix lasse. Votre peau est comme brûlée par le Soleil, mais vous ne vous exposez pas. Vous présentez les nausées de la future mère, mais vous ne portez pas d'enfant, et à seize ans vos cheveux s'en vont comme ceux d'un vieillard. Je cherche. Mais je n'avais encore jamais rencontré cette maladie. »

Viviane prend alors la mesure du chagrin qui a envahi son Mog. Ce dernier sursaute, faisant jaillir quelques grosses gouttes huileuses du bol. Il s'exclame :

« Ne m'écoutez pas. Ce n'est pas la première fois que les démons me résistent. Je vais trouver.
- Je sais, tu peux tout guérir.
- Que les dieux vous entendent !
- Je croyais qu'on n'en servait plus qu'un seul ! »

Mog sourit :

« Ce n'est pas aussi simple, mais vous m'avez eu. J'aurais dû dire par tous les saints. »

Il réfléchit un instant, puis :

« Disons que nos dieux sont maintenant soumis à une puisance qui les englobe tous, et qui est unique. C'est le prix à payer, pour unifier aussi les royaumes. »

Viviane se perd à son tour dans ses pensées.

Toute petite, elle était déjà rêveuse.

Depuis qu'elle tient le lit, elle l'est maintenant à plein temps.

« Unifier les royaumes, murmure-t-elle...
- C'était votre idée, répond Mog. Et voilà qu'aujourd'hui, sur vos rêves, votre père a bâti un paradis sans guerres. Je ne laisserai aucun mal vous emporter. Vous avez déjà sauvé votre royaume. »

Il soupire, puis :

« Tenez, termine-t-il en tendant le bol. Ce bouillon devrait soulager vos démangeaisons et la nausée en même temps. »

Tandis qu'elle tend la main pour prendre le bol, il attrape délicatement le bras de Viviane et l'examine.

Une tache rouge s'étend sur tout son avant-bras. La peau pèle par endroits.
« Ca a encore tremblé, dit-elle. »

Sur sa chaise, le chat miaule.

La princesse reprend :

« C'était encore plus fort ! »

Le félin se lève sur ses pattes, tourne autour de lui-même et se recouche.
« J'ai cru que la tour allait tomber, termine Viviane ! »

Le vieillard lâche son bras et soupire encore.

« Elle est solide, dit-il.
- Je sais, répond-elle le bol dans les mains. Mais c'était très effrayant. Dis-moi, s'il te plaît : est-ce que toutes les maisons ont tenu ? »

Le chat émet un deuxième miaulement en se relevant sur ses pattes. Long, plaintif...

« Qu'est-ce que tu as, toi, demande le vieillard en se levant à son tour. »

L'animal saute sur le rebord d'une fenêtre.

Le vieil homme le suit.

Il ouvre la fenêtre, se penche...

« Votre prétendant est là, lance-t-il par-dessus son épaule.
- Ce n'est pas mon prétendant !
- Pas possible, murmure le vieillard comme pour lui-même. »

Se penchant un peu plus, il crie :

« La princesse est souffrante. Elle te recevra plus tard, si tu veux bien. »

Une voix étouffée parvient aux oreilles de Viviane, trop loin pour la comprendre. Mog reprend, toujours en criant :

« Est-il conscient ? »

La voix répond. Le vieil homme s'exclame :

« J'arrive ! »

Revenant vers la princesse, il dit  :

« Il est venu pour moi.
- Qu'est-ce qui se passe, demande Viviane ? Il va bien ?
- Votre amoureux va bien.
- Ce n'est pas mon amoureux. Il vient juste me tenir compagnie, faire la sérénade de temps en temps pour me faire passer le temps. Tu vois, par gentillesse ; pas par pitié, comme les autres. »

Le visage de Viviane s'assombrit.

« Je deviens de plus en plus laide. Qui voudrait de moi ?
- Lui, sans doute. Et je ne crois pas qu'il vous trouve laide.
- Mais il n'est pas prince. Il n'est même pas chevalier. Père ne voudra pas de lui.
- En ce qui me concerne, il peut bien être le prince des rouquins s'il veut, je l'aime bien.
- Pourquoi a-t-il besoin de toi ?
- Il était un peu confus. Apparemment, lors de la dernière secousse, son père a reçu un pied de table en pleine figure. Ca n'a pas l'air méchant, mais il faut que j'aille voir.
- Ah, son père ! »


A mi-chemin entre le lit et la porte, Mog se retourne. Il dit :

« Vous n'avez pas l'air de le porter dans votre cœur. »

Viviane réfléchit...

« Le grand architecte de génie qui a changé la face du royaume...
- Il a redonné un visage à la capitale, mais... justement ! C'est bien. Et il a toujours été correct avec tous les ouvriers qu'on lui a fournis. Que lui reprochez-vous ?
- Je ne sais pas, répond la jeune fille en toussant. C'est vrai qu'il a des idées géniales. Je l'ai rencontré quand il a bâti ma tour. Il parle tout le temps, soit de lui-même, soit de Dieu. Il pars dans de grandes envolées lyriques mais... quand tu creuses un peu, tu t'aperçois qu'il n'a vraiment pas inventé l'eau chaude. Ewan peut tailler un cheval dans la souche d'un arbre, ce sera tellement vrai que tu t'écarteras pour ne pas prendre un coup de sabot. Et il a beau chanter faux, quand il te conte une histoire, c'est pareil. A côté, son père parle fièrement d'en faire un charpentier, sans s'apercevoir qu'il pratique lui-même un travail d'architecte... je ne sais pas. C'est comme si le roi des cons avait engendré le prince des anges.
- Princesse !
- Désolée ! Ca m'a échappé. »

Le vieil homme la contemple un instant. Il se retourne pour sortir, regarde les pierres étalées sur la table...

« Encore des nouvelles ? »

Il s'avance, en prend une...

« Père m'en a rapporté de son dernier voyage dans les terres de l'est.
- Elles sont chaudes, murmure-t-il, pensif...  »

Il la soupèse, la retourne dans tous les sens.

« Votre père a souffert du mal des voyages, ces derniers temps. »

Il reste là, la pierre dans la main.
On entend une voix assourdie, par la fenêtre...

Le chat miaule encore.

« M'en prêteriez-vous une, demande Mog ?
- Mais... volontiers, répond la princesse, indécise. »


Toujours l'air perdu dans ses pensées, Mog ouvre la porte. Il s'apprête à sortir, mais Viviane demande :

« Est-ce que ça va trembler encore ? Ca n'était jamais arrivé deux fois de suite. Et jamais aussi fort ! »

Le vieil homme réfléchit un instant, répond :

« Il est probable que non. Mais votre tour est solide. Si ça tremble encore, elle tiendra. »

Puis il sort en refermant la porte derrière lui.

Fin de l'interlude,

A suivre...

Eric Gélard

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