mercredi 29 août 2012

Je me suis réveillé au Paradis 1.2

Bienvenue à la Nouvelle Remungol !


Après avoir été réveillé par une elfe à la peau verte puis bleue ; je me retrouvais au lit dans une chambre bleue qui était verte à mon réveil, un breuvage étrange à la main et un goût de guimauve à la fraise au fond de la gorge.

Il m'a fallu un moment, avant de bouger.
Face à moi, la porte entrouverte m'invitait à plonger plus profond dans le rêve.
Bleue avec des panneaux ivoire chargés de brouillard, elle tendait vers moi une poignée en bouton d'or.
J'entendais  une voix, au-delà de cette porte, trop étouffée pour que je puisse comprendre. Mais je reconnaissais la voix de l'elfe ; une voix... tellement familière mais jeune !

J'ai sorti une jambe de cette étrange couverture douce et légère désormais bleu-roi ; une toute petite jambe gauche. Elle a glissé sur le côté du lit, rapidement suivie par sa sœur alors que je m'asseyais en repoussant la couverture. J'avais les jambes vêtues de braies blanches taillées sans une seule couture dans un tissus incroyablement léger, doux au toucher et brillant !

Elles semblaient si petites, mes jambes !

En haut, j'étais couvert d'une simple tunique du même tissus, mais... tellement courte !
Poussant sur une mains, je me suis levé ; elle m'arrivait à peine aux hanches alors que moi-même, j'avais une taille d'enfant.

Je tenais toujours un verre à moitié plein dans la main droite. Le liquide rose pétillait à l'intérieur. Je l'ai porté à ma bouche. J'en ai bu une gorgée ; à nouveau cette sensation coulait le long de ma gorge... j'ai fermé les yeux.

Je voyais une main, ma main ! Pas cette main d'enfant qui tenait mon verre, mais la mienne ; une main adulte, serrant une pierre étrange. Celle-ci, terne mais chaude, bombardait ma paume de milliers de minuscules épines chatouillant la peau avec la même intensité que cet étrange feu à la fraise ma langue et mon palais.

J'ai levé mes paupières...
Les yeux à demi-fermés, j'ai relevé la tête.
Dehors un arbre dansait au gré d'une forte brise... sous un ciel bleu.
Son feuillage vert frétillait au-delà d'une fenêtre rectangulaire composée d'un seul vitrage.

Les pieds nus dans une moquette extraordinairement douce, j'ai fredonné :

« Pas un chêne, ni un châtaignier... pas un frêne, ni un marronnier... »

La vieille ritournelle me semblait surgie du fond des âges.  J'ai continué ainsi, le verre à la main. Les feuilles défilaient devant mes yeux mi-clos ; « feuille de bouleau, feuille de pommier... », ainsi que les arbres, leurs formes ; « ombre de sureau, reflet de poirier »...

Pendant quelques minutes, tous les arbres de mon répertoire y sont passés ; celui-ci n'en faisait pas partie.
Je sentais le verre s'alourdir, dans ma main droite. Il était pourtant vide. Le coude engourdi, je l'ai passé à gauche... j'avais les doigts si courts !

Pliant les genoux, je l'ai posé sur la table de nuit.

J'ai fait un pas vers la porte, dans la moquette bleu-ciel.
La voix venait de plus à gauche ; elle semblait traverser le mur au-dessus de la commode bleue aux tiroirs liserés or. Elle paraissait surgie de ce brouillard ivoire qui emplissait le mur, dansant au gré de la brume.

J'ai traversé la chambre jusqu'à la porte ; la moquette était chaude !
Tendant le bras droit vers la poignée en bouton d'or, j'ai plié le genou gauche. J'ai passé l'autre main sur la plante de mon pied ; chaude... c'était agréable !

J'ai reposé le pied.
La voix de l'elfe semblait vraiment sortir du mur, sur la gauche.
C'était impossible !
Ça se passait forcément de l'autre côté.
Je pouvais presque distinguer ses paroles.
Elle s'écriait :

« Mais oui ! Une heure ! »

Elle est repartie dans un monologue assourdi et incompréhensible.
Tirant la poignée, j'ai ouvert la porte.
De l'autre côté, tout était rose.
De la main gauche, j'ai attrapé le chambranle. J'ai fait un pas en avant.
J'ai juste eu le temps d'entrevoir droit devant une autre porte qui flottait dans le vide d'un brouillard rose ; sur la droite un comptoir de marbre fuchsia sur lequel perchaient deux étranges oiseaux roses au bord de vasques rose-bonbon ; sur la gauche un bassin en granit rose rempli d'eau, au bord duquel perchait un volatile tout aussi rose deux fois plus gros que les autres.

Je me suis exclamé :

« Oups ; pardon ! Je veux pas déranger... »

Avant de me rendre compte d'une part que je venais de m'adresser à des piafs et d'autre part que lesdits oiseau étaient en marbre.

Pas de trace de l'elfe.

Reculant d'un pas, j'ai refermé la porte.

La voix sortait vraiment du mur !

Alors je me suis approché de la commode.
Campé sur mes petites jambes et sur mes petits pieds nus, j'ai posé les deux mains sur la surface de celle-ci et j'ai plongé mon regard dans le mur.

Rien.

Rien d'autre que ce brouillard ivoire qui me narguait de ses volutes dansantes et cette voix douce et lointaine... je la comprenais presque ! Elle disait :

« Tut, tut ! On n'est plus à l'âge de Pierre !... »

J'ai pris un grand bol d'air.
Expirant, j'ai soufflé... la brume s'est écartée !

Écarquillant les yeux, j'ai soufflé encore ; j'ai chassé le brouillard pour découvrir...

Comment trouver les mots pour décrire ça ?

Là, dans le mur en face de moi... à peine à quelques pouces !
Il faisait nuit, c'était les bois... comme un oiseau, je voyais d'en haut une... un...
Un véhicule ; c'était certain.
Mais tiré par aucun cheval. Par rien, en fait... gris, évoluant sur une route sombre à la surface aussi lisse que celle d'un mur.
Là, dans le mur en face de moi, c'était un autre monde ; avec même un haut et un bas orientés différemment !

Voilà ce que j'ai vu dans le mur, après m'être éveillé dans cette chambre bleue mais verte quand j'ai ouvert les yeux, accueilli par une elfe capable de changer de couleur.

J'entendais mieux la voix ; elle contait :

« Mais comme c'est supergol ! Sauf que ça capte rien quand le son grille la machine. Du coup, on s'est perdus... »

A mesure que la voix contait, tout ce qu'elle disait se déroulait là ; sous mes yeux à l'intérieur du mur.

Je voyais l'étrange carrosse parcourir les campagnes, arriver à un village bordé d'arbres fins et droits diffusant de la lumière en leur sommet...

Un pur rêve de fou !

La voix psalmodiait :

« On visait un village du nom de Nouvelle Remungol. Ça ; impossible à oublier, surtout dans les Cévennes. Genre ; ça devait être un village d'expatriés bretons.

Mais lui, là ; Supergol, ça le faisait marrer ! Il s'esclaffait :

« C'est Supergol, non ? On quitte la Bretagne, on fait huit-cent bornes pour aller en teuf et hop ! C'est chez des bretons ! »

Ceci presque en boucle ; je l'aurais frappé !
Mais je me retenais...
Je sais pas comment.

Mon mec, lui, tenait son volant des deux mains, le regard perdu dans sa conduite, comme d'habitude. Il conduisait vite, mais bien ; il parlait peu, voire pas.

Je bouillais littéralement à côté du lui ; j'avais déjà envie de bondir sur l'autre abruti pour... je ne sais pas, moi ! Avec un peu d'imagination... ; foutre à poil ce connard et graver à l'ongle une carte sur son bide pour, au moins, trouver le chemin du retour !

A côté de lui, sa copine à tête de tresses comptait pour la énième fois sa liasse de billets en rêvant sans doute à la dépouille qu'elle allait se payer. Je lui en aurait bien offert une, moi, de dépouille !

Mortuaire !

Mais à force de tourner sur des routes à peine assez grandes pour laisser passer un cheval, on a fini par trouver la Nouvelle Remungol ; un charmant petit village aux toits d'ardoise encore insolites pour la région, presque au pied d'une montagne.

Et tu sais quoi ? On l'avait déjà visitée !

Deux fois !

La première fois, on a juste traversé, parce que d'après Gogol, c'était pas là.

Il faisait déjà nuit depuis plus d'une heures.

A l'entrée du patelin, le panneau affichait : Remungol-Nevez. Il était rapidement suivi d'une affiche de bienvenue annonçant à renforts de diodes luminescentes blanches sur fond noir : Degemer mat e Remungol-Nevez. Le texte se terminait par un magnifique drapeau breton, toujours en diodes blanches sur fond noir.

Fred s'est écrié :

« Regardez ! On y est presque ! »

Plus pour me détendre qu'autre chose, j'ai réagi d'une voix monocorde :

« Youpi ! On a trouvé la Nouvelle Remungol ! Plus qu'à découvrir une terre-promise perdue dans les bois !
- Ah non, a repris Duglue tout fier de sa bêtise ! On n'est pas à la Nouvelle Remungol ! T'as bien vu le panneau ? On est à Remungol-Nevez. Mais ça veut dire qu'on y est presque !
- Et t'as vu ça où ; dans une boule de cristal ?
- Mais t'y connais vraiment rien, Cocotte ! C'est souvent, que des villages voisins portent des noms voisins. Donc, la Nouvelle Remungol, c'est le village suivant ! »

Sur le moment, j'ai rien dit ; il y avait comme une logique à sa connerie.

On a donc traversé Remungol-Nevez.
Avec nous dedans, la voiture est passée entre des maisons entourées de jardins  à peine éclairés par les lampadaires. Elle a traversé une place où trônaient une église et une boulangerie à l'ancienne... Fred a même fait Coucou au passage au panneau annonçant que nous quittions Remungol-Nevez. Il a ouvert la vitre de son côté et il a fait un signe de la main en déclamant :

« Au-revoir, Remungol-Nevez ! Nous te reverrons au retour ! »

Tu parles ! Le retour n'a pas été long !

La route descendait vraisemblablement vers une plaine. On a sinué pendant, je ne sais pas... quatre ou cinq kilomètres, en scrutant les embranchements et les chemins alentours.

Rien.

A part, au bord d'un embranchement en patte d'oie sur la gauche, deux fourgonnettes de la gendarmerie derniers modèles, deux motos et six de ces messieurs de la maréchaussée occupés à contrôler un van blanc-crème.

Fred s'est écrié :

« T'arrête pas ! »

On a continué ainsi pendant encore à peu-près trois bornes.

Mais voilà ; c'était une impasse !
La route débouchait sur ce qui ressemblait à un lotissement privé. Une demi-douzaine de maisons entièrement construites en bois, mais grandes !
De magnifiques chalets eux aussi entourés de jardins. On en a admiré les superbes toits en ardoise et en double-pente prononcée depuis une barrière automatique orange fermée à l'entrée du lotissement.
A côté de celle-ci, un simple écran lcd monté sur un poteau en fer affichait sur fond bleu :

Privé ; colporteurs interdits : veuillez sonner ci-dessous.

Sous l'inscription, un cercle blanc invitait à y presser l'index.
On n'est pas restés pour essayer.

On a fait demi-tour et on est retournés à Remungol-Nevez.
Là, Fred nous a fait tourner pour chercher des panneaux. Il y en avait plein, mais tous indiquaient des lieux-dits aux noms dignes de celui qu'on cherchait et qu'on avait perdu en grillant le seul accès internet de la voiture. Des noms ultra oubliables ; dignes de Mister Supergol ! Ou encore des noms mal interprétables ! Par-ci se tenait le Trou des Forges, et trois-cent-mètres plus loin par là ; les Forges du Trou !

Comment veux-tu retrouver ton chemin dans une pelote pareille ?
Et ça au pied d'une montagne ; c'est fort !
Au bout d'un moment, Dugenou a dit :

« De toute façon, c'est pas ici, la Nouvelle Remungol. Donc, c'était dans notre dos ; on l'a dépassée sans faire exprès. En fait, c'était le village précédent et on l'a pas vu.»

Comme ça, il nous a littéralement fait faire demi-tour, et on est repartis sur la route par laquelle on était arrivés au départ.

Sa copine, elle, continuait de compter ses tunes sans rien dire.

Quand on est arrivés à la bretelle de l'autoroute pour Alès, là ; j'ai dit d'un ton que je reconnais un peu sec :

« Et on fait quoi, maintenant ? Le village précédent, y'en a pas non plus ! »

C'est marrant ; là, il a rien répondu, Supermol !
Du coup, on est revenus à Remungol-Nevez.

Encore.

Cette fois-ci, quelqu'un nous attendait sur la place de l'église.
Sous un lampadaire, assis sur un banc en thermoplastique blanc : deux pépères en pleine conversation... on aurait dit ceux du Muppet-Show ; en haut sur leur balcon !
Vêtus de vestes brunes et de pantalons taillés dans la même toile ; deux pépères en chaussons qu'on n'aurait pas pu louper les premières fois !
Les mecs étaient forcément venus s'installer le temps de notre dernier aller-retour au pays des gens perdus. Mais à les voir, c'était comme s'ils nous attendaient là depuis des heures !

Là, mon mec a arrêté la voiture. On a contemplé les petits vieux pendant quelques instants sans rien dire, puis l'un d'entre eux nous a vus. Chauve sur le dessus mais garni sur le tour d'un collier de cheveux blancs, il a levé une impressionnante moustache blanche puis son corps de grand-père pour venir vers nous d'un pas patient.

Très patient !

L'autre le suivait derrière ; blanc aussi, chevelu davantage mais imberbe.

« Mais, heu... tu fais quoi, là, s'est étonné Fred à l'intention de mon mec ?
- Mais, on va se renseigner, a répondu celui-ci !
- Mais qu'est-ce que tu veux qu'ils en sachent, eux ; c'est pas eux qui organisent !
- Mais il vivent là, non ?
- Mais... »

Le dernier mais en suspens, cet imbécile a fini par lâcher :

« Mais enfin ! Tu crois que ça leur plaît, à eux, un teknival chez eux ? Ils feront ce qu'ils peuvent pour nous perdre, oui ! »

De toute façon, c'était trop tard ; le petit vieux présentait sa paire de moustaches à ma fenêtre :

«  Ceux-ci ; sont perdus, ruminait-il entre sa dernière dent tandis que je baissais ma vitre ?
- Heu... non, non ; merci... a commencé Fred ! »

Je ne l'ai pas laissé aller plus loin :

« Si, si ; merci ! Nous cherchons le teknival des Poches, me suis-je écriée avec soulagement !
- Houlààà ! »

Le vieux a semblé réfléchir un instant, le menton dans une main, puis :

« Vous cherchez le Tek-Noz ?
- Oui ! C'est ça !
- Le quoi, s'étonnait l'ahuri derrière ? »

Là, je me suis violemment retournée vers lui :

« Le Tek-Noz ! C'était écrit en grand sur le flyer que t'as grillé, connard ! »

Prenant son temps, un ange est passé. La tête aussi rouge que son crâne, Fred paraissait comme coincé par une colique sur le trône. Enfin, le vieux a dit avec un sourire :

« Faut pas vous énerver, mademoiselle ; v'z'allez gâcher vôt jôôli teint !
- Pardon, est- intervenu mon mec ? »

C'était la première fois du voyage que je le voyais exprimer quelque-chose. Il faut le connaître pour comprendre ; il n'est pas vraiment du genre à exprimer ses sentiments. Là, le vieux a dit en affichant  la surprise :

« Oh, désôôlé ! »

Il avait un accent du terroir, c'était certain, mais lequel ?

« J'avais pas vu qu' c'était la tienn' ! »

La façon qu'il avait d'accentuer au milieu des mots dévorait bien les dernières syllabes à la sauce bretonne, mais dire qu'il prenait son temps serait un euphémisme.

A croire qu'il attendait une réponse non seulement à chaque phrase, mais aussi à chaque mot ! Même le plus détendu des bretons ne serait jamais assez patient pour parler mille fois plus lentement qu'un suisse.

Celui-là : si !

« Mais alors, c't à toi de lui faire des môô- ts doux ! Tu le fais ; si ?
- Je vois pas en quoi... a commencé mon mec »

Il s'est arrêté la bouche ouverte. Il a levé une main vers sa tempe, posant la paume contre la partie dégarnie autour de ses oreilles. Là, il s'est mis à caresser ses cheveux courts et noirs du bout des doigts. C'est son tic ; quand on le met mal à l'aise.

Finalement, il a dit :

« Heu, merci, c'est gentil, mais... on cherche la Nouvelle Remungol !
- Mais, vous y êt', don !
- Ah bon ?
- Mais oui ! Ca veut dir' noûûveau ; nevez !
- Ah, bon !... alors, heu... on cherche le Tek-Noz ! »

Le vieux a plaqué ses mains sur ses genoux, il a tourné la tête vers la route doit devant nous en levant la main droite puis, en nous regardant à nouveau :

« D'habîîtud', je dirais la route la meilleure, mais y'aurait un ch'min plus court. »

On a tous hoché la tête, comme s'il venait de nous apprendre une nouvelle extraordinaire.
Il a laissé passer quelques secondes. Derrière lui, l'autre pépère nous contemplait avec un sourire tout aussi édenté.

« Mais là, poursuivait le premier... en fait... non ! »

Le clocher de l'église s'est mis à égrainer les heures : dong ; une heure ! Dong ; deux heures !...

« Y'a qu'une route ! »

Dong ; trois heures !... Dong ; quatre !

« Alors... »

Dong... dong !

« V'z'allez toûût droit... »

Dong... dong !

« Et là ;... »

Dong... dong !

« Après kêêk's Kilômèt'... »

Dong...dong !

« Vous demandez à la Maréchaûûssée ;  y gard'nt le ch'min pour aller au Tek-Noz ! »

Et là, Mister Supergol le Mongol s'est écrié :

« Il est minuit ! Vous voyez ; on arrive tôt ! C'était pas la peine de s’exciter, comme ça ! »

J'ai encore perdu mon calme :

« Mais t'as écouté, au moins ? C'était au niveau des gendarmes !
- Oui, et alors ? On y est presque, oui ou non ? »

A nouveau ; un silence.

En parlant d'euphémismes... tu vois : là, ce serait un euphémisme, rien que de dire que c'était un euphémisme quand j'ai dit :

« J'en ai ma claque ! »

Le vieux a ajouté :

« Bon, ben... content de vous avoir rendu sêêrviss' !
- Merci, a lancé mon mec d'une voix indécise. Et, heu... bien à vous, hein ! »

Le vieil homme, qui commençait déjà à partir, s'est retourné... il est revenu. Il a dit en montrant une maison :

« De rien ! J'habite là, à côté ! On v'za vus toûûrner, alors on est v'nus voir ! »

Quelques secondes sont parties encore, comme ça, dans le silence. Puis le vieux a ajouté :

« Et faites attêntion ! Arrivés aux châââlets, c'est trôôp loin ! Nôôz vâât ! »

Puis il est parti rejoindre son collègue déjà presque assis sur le banc.

Et voilà !

On est repartis, nous aussi !
On a repris la route ; la bonne : dans l'intention de demander notre direction aux gendarmes.
Sur la banquette arrière, le champion de l'Univers toutes catégories en connerie domestique et autres s’affolait, s'exclamant :

« Mais vous êtes pas biens ! On va pas demander la route aux keufs ! Vous croyez quoi ; qu'ils vont gentiment nous dire où ça se trouve ? Ils vont nous balader, oui !
- Eh bien ils nous baladeront, ai-je hurlé à pleins poumons en crachant sur ce sous-primate ! Ce qui est sûr, c'est qu'ils le feront pas aussi bien que toi, pauv' gland ! »
Et là, tu sais ce qu'il m'a répondu, ce crétin ? Blanc comme un linge, il m'a dit :

« Mais non, mais, heu... enfin... on y est presque... et tant pis ! Tiens, tu vas voir : si tu me laisses leur parler, aux gendarmes... en les embobinant un peu ; moi, je te trouverai où c'est ! »


A suivre...
Eric Gélard

mercredi 22 août 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.8


Supergol


Je me suis d'abord retrouvé dans la pierre d'un menhir.

J'étais un menhir !

Le plus incroyable, c'était de me sentir respirer quand-même ; comme me retrouver au fond de l'eau dans un rêve... c'était de sentir sans bouger d'un cheveu un vent légèrement salé parcourir ma surface !
C'était d'être là, au milieu d'une immense prairie d'un vert le plus pur et parsemée de fleurs ; de pouvoir sans yeux distinguer le moindre brin d'herbe, la moindre pâquerette... chaque insecte bourdonnant dans un concert avec le vent, le coucou et la tourterelle au loin...

Tout était incroyable.

Et ça sentait bon !
Un parfum vert, presque sucré.

Je voyais tout !
Sous un ciel d'un bleu éblouissant.

La voix de Myrdhin continuait de poser le décor :

« Il y a deux autres grande pierres autour de vous ; une de chaque côté... »

L'un après l'autre, j'ai vu d'autres menhirs sortir de l'herbe ; un à ma droite, un de l'autre côté... trois autres, alignés plus loin, sur la gauche... trois sur la droite... six autres plus loin encore ; trois de chaque côté.

J'étais au sommet d'un arc ovoïde de quinze menhirs disposés trois par trois.

« D'autres pierres apparaissent, plus grandes encore... »

Derrière chaque trinité de menhirs, de gigantesques constructions se sont dressées, cachant une bonne partie du ciel. Chacune d'elles présentait trois pierres ; deux pilier au moins trois fois plus hauts que les premiers menhirs et un gros bloc couché dessus.

Tout autour s'est dessiné un cercle de menhirs, puis plus loin encore un cercle de géants supportant d'autres pierres couchées... il y en avait des dizaines !
J'étais au centre d'une construction énorme.

Devant moi, quasiment à mon pied, composé de trois pierres grises aussi ; quelque-chose qui ressemblait à un autel. Long, plat, il paraissait minuscule au regard du reste.

« C'est un banc, poursuivait la voix douce du sorcier. La jeune fille vêtue de noir vient s'asseoir dessus. Juste s'asseoir. »

La fille de mon rêve est arrivée par l'avenue ainsi formée. Tunique et braies serrées aussi noires que ses cheveux aux reflets aile de corbeau, elle s'est assise sur le banc en pierre presque à mon pied.

Elle me tournait le dos ; j'aurais pu me pencher sur elle.

Une voix féminine a dit :

« Miracle-Express ; bonjour ! »

J'ai de nouveau étendu mes perceptions, mais au travers de centaines... de milliers, de millions de minuscules grains de granit composant ma surface et aussi celle de mes voisins.

La brise s'était calmée ; mes grands frères trilithes me protégeaient du vent.

J'ai vu !

J'ai vu la chatte au sommet d'un trilithe de pierre, sur la droite.
Ce n'était plus la même !

J'ai murmuré :

« Elle n'est plus noire mais grise ; entièrement grise avec un reflet bleu ! »

La jeune fille a levé les yeux vers l'animal, s'écriant :

« C'est toi ? »

La chatte bleue a répondu :

« Qui veux-tu que je sois ? »

Elle parlait d'une voix basse, grave mais indéniablement féminine.

« Tu n'es pas la même, s'est étonnée la jeune-fille.
- Je passe de robe en robe, c'est dans ma nature ! »

Elles ont laissé passer quelques secondes sans rien dire, puis la chatte a dit :

« Alors ?
- Alors quoi ? Tu veux que je te dise que t'avais raison ?
- Non ! Je veux que tu me dises comment tu vas.
- Eh bien, t'avais raison. J'ai suivi ton conseil ; j'ai accompagné mon mec et son boulet en teuf. Apparemment, il y a deux rave-parties. T'as dû déjà voir si tu t'es promenée un peu.
- J'arrive.
- Ah ! Il y en a une à deux ou trois kilomètres d'ici ; une free où couleront probablement les drogues. Mais nous allons à l'autre, qui a l'air plus sérieuse. Ça s'est passé d'une façon ; tu vois, là : je réalise encore.
- Raconte ! »

Une voix d'homme est intervenue. Étouffée, lointaine, elle provenait de derrière moi... d'au-delà des cercles de menhirs tout autour. Elle appelait :

« Charlie ? T'es où ? »

La jeune fille a crié en retour :

« Je suis là ! Bouge pas d'où t'es, c'est très bien ! »

La chatte a bondi du trilithe de pierre, sur l'un de mes frères menhirs sur la droite.
Elle s'est lovée en rond, les yeux jaunes rivés sur la fille. Celle-ci contemplait l'avenue d'herbes et de pierres devant elle ; le regard perdu loin au-delà des menhirs.

Brisant le silence, elle a soupiré :

« Eh bien, pour commencer, tu vois ; je suis là.

Je n'y croyais pas beaucoup, pourtant. Même après notre rencontre sur la falaise ; je pensais avoir rêvé.

On a roulé pendant quatre heures. Enfin... roulé ; plané, selon l'expression favorite de Mister Supergol.

- Qui ?
- Fred ; le pote de mon mec. Auto-baptisé Café Fredo ; il se trouve frais et dynamique. Mais il adore le mot Supergol, ce mongol. Quand il a fait acheter sa caisse à mon mec, je te jure, le vendeur n'a pas eu à placer un mot ; avec Fred comme camelot l'affaire était vendue :

« Regarde ça ! Une aéro ! Avec toutes les options ; c'est du supergol !... Regarde ; tu rabats les tablettes dans le dos des sièges et ton film passe en hologramme... mais c'est du Supergol ! »

En sortant de chez le concessionnaire, j'ai regretté de ne pas avoir compté le nombre de fois où il a placé ce mot débile. Mais nous en ressortions avec une voiture pleine à craquer de supergol et un crédit à faire des coupes dans les loisirs, même avec la reprise de l'ancien véhicule en parfait état de marche.

Tout ça pour ne pas avoir l'air de gueux en teuf !

Ce warrior d'opérette se rase tout seul le crâne à la tondeuse, comme une grande ! Mais il ne doit pas savoir s'y prendre. Je n'ai jamais personnellement pratiqué l'auto-tonsure, mais je ne vois pas beaucoup de crânes rasés se balader la tête aussi rouge que Fred. Par plaques ! Ca doit le démanger ; il se gratte constamment !

Donc voilà, on est partis à quatre, à bord d'une voiture super-grise, mais supergolesque, super-chère et super-bruyante pour une super-technologie à coussins d'air.

Quatre heures !

Deux-cent-quarante minutes à se farcir des clips technos piratés sur le web le volume à fond !
Derrière moi, le Fred s'extasiait sur un genre de brouillard sombre et glauque en extrême basse résolution holographique censé représenter des danseurs devant un mur de son la nuit. A coté de lui, sa dernière conquête comptait une liasse de billets qu'elle gardait sur elle.

Leur plan était simple... enfin ; le plan de Fred ! Il appelait ça la mise de fond, sans préciser bien sûr que ça sortait de la poche de sa copine.

Tu vois, en fermant les yeux, j'entends encore sa voix de branleur :

« Le blème, en teuf, c'est pas dans la teuf elle-même, c'est sur les routes. C'est là que les keufs te contrôlent. Alors on n'amène rien avec nous, sauf des tunes. Une mise de fond quoi ! On achète le stock là-bas, on revend avec bénefs et on se dépouille avec la marge. »

- Le moins qu'on puisse dire, a commenté la chatte, c'est qu'il n'est pas discret !
- Pour ça, il faudrait qu'il se taise, de temps en temps ! Mais non ! Ça, c'est pas inscrit dans son code génétique ! Que voudrais-tu qu'il te raconte, s'il te déballait pas toute sa vie, et en boucle encore ?

Et cette techno mal enregistrée... je ne sais pas ! Elle saturait de partout. De la plus grave des basses au plus aigu des samples... à croire qu'elle avait aussi été enregistrée le volume à fond !

Assise à la place du mort, j'ai bien essayé d'y mettre mon grain de sel :

« Vous allez griller le poste !
- Tut, tut, s'est vanté Fredogol derrière moi ! T'y connais rien, trésor ! La teck, ça s'écoute le volume à donf ! »

Et devine quoi ; le poste a grillé.
On était presque arrivés !
Presque.

On a tourné encore pendant une heure.

- Ah bon ?
- Mais oui ! Une heure ! Comme plan pour arriver à bon port, on suivait un flyer internet ; une carte proposée en ligne par les organisateurs. Mais voilà ; dans le monde du Supergol, une seule machine centralise tout : auto-radio, GPS, machine à frittes et je te le donne en mille ; Internet !

Je leur avais dit, pourtant, au moment du départ :

« Je serais vous, je l'imprimerais. On va peut-être pas capter, là bas ! »

Bien sûr, Gogol a répondu :

« Tut, tut ! On n'est plus à l'âge de pierre ! Ça capterait un appel de détresse venu des fonds marins depuis le fin-fond du désert ! »

Mais comme c'est supergol !


Sauf que ça capte rien quand le son grille la machine.


Du coup, on s'est perdus... »

Stonehenge
Stonehenge

A suivre...
Eric Gélard

dimanche 12 août 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.7

Rembobinage


Alors que je travaillais avec mon fils sur la conception d'une nouvelle maison, reprend Job, un tremblement de terre a fait s'écrouler mon bel atelier en forme de zôme presque sur nos têtes.

J'ai failli y passer : je me suis pris un pied de table en pleine figure et paf ; dans les pommes !
Je me suis réveillé une première fois, face contre terre et de la poussière plein la bouche. Mon fils allait bien, mais ma si merveilleuse femme l'a envoyé chercher un sorcier pour me soigner... moi ; Job ! J'ai résisté.. et voilà qu'elle me parle de mon Dieu, comme si elle n'y croyait pas elle aussi !

Je n'ai pas eu le temps de discuter ; je suis retombé dans les pommes.

Quand j'ai rouvert les yeux, j'étais dans mon lit.
Je sortais d'un rêve où j'étais un arbre. C'était bizarre. Une branche me grattait, au milieu du front ; une chatte s'était posée dessus pour discuter avec une fille venue s'accroupir sur mes racines pour...

Eh bien, heu...

Enfin... j'ai ouvert les yeux.

La première chose que j'ai vue, c'est le sorcier qui s'apprêtait à m'engluer le front avec je ne sais quel onguent diabolique. Mais avec une tête ! Chauve, une barbe moins blanche que sa robe, un nez grand comme une main et des oreilles de singe.

Là, j'ai reculé !

Il a insisté un peu ; j'ai dit non : pas de sorcellerie sur moi !

C'est là que mon fils de quinze ans a débarqué.

En un échange entre le vieux et Adam, je me suis soudain demandé si on me prenait pas pour une truffe ; le garçon était apparemment devenu l’élève du sorcier.

Ils ont nié.

Par contre, quand j'ai dit au vieux que je sortais d'un rêve où les chats parlent, ça a eu l'air de l'intéresser. Il a enfin abandonné l'idée de me répandre sa mixture infâme sur le front. Malheureusement, je ne me souvenais plus vraiment de mon rêve. Il était quelque-peu... dérangeant.

Mais le sorcier m'a alors assuré qu'il pouvait me le rendre. Pas d'onguent, ni de poudres maléfiques ; il ne me toucherait même pas.

Dans ces conditions, j'ai accepté : il avait l'air tellement surpris que je puisse rêver de chats qui parlent ; je voulais savoir !

Mais je n'en menais pas large ; c'est quelque-chose de se retrouver face à un sorcier. 

Toujours à genoux près de la paillasse, il s'est avancé vers moi.
Il a levé un index devant mes yeux en disant :

« Regardez attentivement le bout de mon doigt ! »

Là, j'ai compris !
J'ai reculé, m'écriant :

« Arrêtez ! »

Battant en retraite lui aussi, il a marmonné :

« Faudrait savoir !
- Ça y est : j'ai compris !
- Mais compris quoi ?
- C'est dans votre doigt ! »

Il a regardé son doigt...
A la porte, mon fils secouait la tête en soupirant, les yeux vers le sol.

« Qu'y a-t-il dans mon doigt, s'étonnait Myrdhin ? »

J'ai répondu :

« Mais votre pouvoir ! Vous avez concentré tous vos pouvoirs sataniques au bout de votre doigt et vous allez me jeter un sort, c'est ça ? »

Il a soupiré à son tour en baissant les bras :

« Très bien ! On ne peut pas aider quelqu'un qui refuse. »

Le vieil homme est resté silencieux un moment...
Il a regardé Adam toujours appuyé au chambranle de la porte. Il a pris une grande inspiration...

Soudain, il a aboyé :

« Wan !
- Oui, a répondu mon fils ?
- Viens ! »

Le sorcier ouvrait une large manche vers Adam, l'autre vers le côté opposé du lit.
Se tournant vers moi, il m'a proposé :

« Écoutez : on peut prendre le doigt de votre fils ! Lui, vous le connaissez ! Vous savez que ce n'est pas un sorcier ; il n'y a aucun pouvoir maléfique au bout de ses doigts. Ça vous va ? »

J'ai réfléchi un instant. Adam s'était installé en face de Myrdhin ; genoux écartés, assis sur les talons. Il paraissait indécis. Il triturait une mèche de ses cheveux roux devant ses yeux étonnés.

Le sorcier, lui, me fixait ; interrogateur.

J'ai finalement réagi :

« D'accord. Mais vous, vous ne bougez pas ! Vous ne vous approchez même pas de moi ! »

Le vieil homme s'est redressé sur ses talons en disant :

« Croix de bois ! S'il y a de la magie, elle est dans votre tête. »

Il s'est alors adressé à mon fils :

« Wan, tu vas tendre un doigt ; un index. »

J'ai précisé :

« Il s'appelle Adam depuis qu'il a embrassé la Foi. »

Le vieil homme a enchainé sans faire attention à moi :

« Fais-le osciller à un coude de ses yeux. »

Dépliant les jambes, Adam s'est avancé vers moi.  Il a tendu un doigt devant mon nez, le faisant osciller de droite et de gauche.

« Moins vite, a repris Myrdhin. Regardes ses yeux, pas ton doigt. Fais attention à ce que je fais, pas à ce que je dis. »

Il s'est adressé à moi :

« Vous c'est l'inverse ; vous faites attention à ce que je dis et uniquement à ce que je dis : vous allez vous détendre.  »

Sa voix avait quelque-chose d'apaisant. Il parlait lentement ; laissait passer plusieurs secondes entre chaque phrases.

« Vous avez reçu un choc ; vous avez besoin de repos. Laissez-vous aller : détendez-vous ! »

J'ai cessé peu à peu de presser mon dos contre le mur derrière moi. 
Le doigt de mon fils oscillait toujours devant mes yeux.
Sous sa main, la manche brune de sa tunique pendait d'un côté, de l'autre...

« Vous allez vous endormir, poursuivait Myrdhin. »

Mes paupières commençaient à se fermer d'elles-mêmes.

Je les sentais lourdes !

Cette main, tendue vers moi le doigt en l'air, engagée dans un perpétuel aller-retour devant mes yeux ; tout l'univers bougeait derrière elle !

A droite, puis à gauche...

« Vous êtes fffffatigué, soufflait le sorcier ! »

J'ai cligné des yeux...

Une fois...

La main balançait ; ma tête aussi...
Je me suis entendu prendre une grande inspiration, profondément... puis souffler lentement jusqu'à vider l'air de ma poitrine.

Deux fois...

A la deuxième inspiration, mon nez s'est mis à vibrer... j'ai failli lâcher des yeux la main qui dansait devant moi ; je ronflais !

Mes paupières, elles dansaient.

Lentement.

De plus en plus, cette main et l'ombre floue derrière elle m'apparaissaient comme les images immobiles... comment dire ? D'une scène découpée en instants figés, présentés bout à bout avec un intervalle croissant.

Un coup à droite... le visage de mon fils...

Un coup à gauche... celui du sorcier...

Et ce ronflement qui faisait vibrer l'intégralité de mon corps...

Finalement, j'ai fermé les yeux.

« Vous entendez, demandait la voix grave et douce du sorcier ? C'est vous ! Vous êtes profondément endormi. »

J'ai répondu :

« J'entends ! »

J'ai repris un grand bol d'air, les yeux fermés.

Je me sentais bien !

Calme.

Apaisé.

Ma douleur au front s'était changée en un écho lointain pulsant comme certaines étoiles, la nuit.

La voix disait :

« Il fait nuit. Vous êtes un arbre... »

Une par une, dans l'obscurité rose de mes paupières, des étoiles se sont allumées.

J'ai senti une brise caresser mon feuillage... j'étais un arbre ! Un châtaignier ; les fruits enfermés dans leurs coques piquantes alourdissaient mes branches.

Je sentais une... deux.... trois vibrations faire trembler mes racines, comme si trois géants frappaient 
chacun son tambour avec rythme ; parfois synchronisés, parfois non.

Dans ces vibrations, j'en trouvais d'autres encore, plus ténues, plus lointaines...

J'étais un arbre parmi d'autres, au bord d'un champ couvert d'herbes hautes.

Quelque-chose me courait sur le tronc... sur mes branches, s'agrippant avec des griffes plus fines, largement plus coupantes que celles d'un écureuil.

Je ne saurais vous dire comment je savais ça ; je le savais, c'est tout !

Pas besoin de regarder en bas pour savoir qu'un chat vous grimpe dessus.
Il est venu se poser sur cette satanée branche qui me grattait, au milieu du front.

Tout à coup, j'ai senti quelqu'un se poser sur mes racines.

J'ai ouvert ce que j'ai pu de mes perceptions... Je me suis tendu jusqu'au bout de la moindre ramure, la moindre feuille, la moindre épine de châtaigne ; jusqu'au bout de la moindre de mes racines et j'ai vu !

Alors que, d'une voix féminine, le chat lançait :

« Miracle-Express ; bonjour ! »

J'ai vu une jeune fille vêtue de noir s'accroupir sur mes racines en levant les yeux vers les branches. Là haut, un chat noir avec une bavette et des pattes blanches s'était couché sur l'une d'entre elles. Il contemplait la jeune fille.
Celle-ci s'est exclamé :

« C'est toi ? »

Puis...

Rien.

L'image s'est figée.

Myrdhin a dit :
« Maintenant, on change de décor. Seuls les personnages restent. Il fait jour ; le ciel est parfaitement bleu. Vous êtes un rocher au milieu d'une prairie. La jeune fille est venue pour réfléchir, rien d'autre. »

Prenant son temps, il a continué ainsi de me décrire un nouveau décor.

C'était incroyable.

Je n'étais plus un arbre, mais un menhir !



A suivre...
Eric Gélard

mercredi 8 août 2012

Squirrelboy 1.1

Il faut que je trouve une clairière ! 


« Il faut que je trouve une clairière.

Il n'y a aucun sentier ; je suis perdu dans les bois.

La nuit va bientôt tomber.
Tout est envahi de fougères, de ronces, de pousses de chênes, châtainiers, bouleaux dont les plus chanceux atteindront peut-être un jour la taille de leurs grands frères.

J'en écrase ; je marche pieds-nus dans les feuilles mortes.

Les grands arbres me cachent la lumière d'un  jour déclinant.

Je marche.

Laborieusement ; je suis dans les ronces.

Je regarde mes bras nus couverts d'égratignures profondes ; je laisse carrément une trainée de sang sur les fougères !

Il faut que je trouve une clairière.

Je ne vais pas encore dormir en haut d'un arbre !

J'en ai assez de dormir sur les branches.

Il faut absolument que je trouve une clairière.

Je m'arrête.

Je lève la tête...

Dans les feuillages, droit devant... une éclaircie !

Je regarde autour de moi ; je suis empêtré dans les ronces. J'en ai les épines plein la barbe ! Des feuilles mortes sont agraffées dessus !

C'est pas croyable !

Une Agraffe.

Une chenille passe de feuille en feuille, sur ma barbe.

Elle est magnifique !

Verte !

Avec des tache jaunes ; c'est joli !

Posée sur une feuille agraffée sur ma barbe... j'adore ce mot !

Agraffé ; ça flashe !

Voilà une idée fabuleuse !

Juste une pointe, rigide, plantée dans ce qu'on veut !

La chenille a laissé une trace brillante, derrière elle.

En pointillé.

Entre deux traits lumineux, une autre chenille montre sa tête dans mes poils ; une barbe...

Gris-brun...

Verdâtre.

Une longue patte noire en émerge, à deux feuilles de la chenille droit devant !

Une autre la suit, se pose sur une feuille...

Va pas par là, chenille ; c'est dangereux !

L'araignée monte délicatement sur la feuille ; c'est une feuille de chêne... par les Dieux ; elle est belle !

C'est venimeux les araignées !

Pshht ! Pshht !

« Allez ; va-t-en ! »

Un hibou répond :

« Houuuuuuu ! »

Une agraffe !

Ou une punaise.

Un machin pour coller les trucs ensemble, mais sans colle ; c'est génial !

Il faut absolument que je ramène cette idée... mais où ?
Je regarde autour de moi...

Mais je suis où ?

Je suis empêtré dans les ronces.

Il va bientôt faire nuit.

Il faut que je trouve une clairière.

Je ne vais pas encore dormir en haut d'un arbre !

J'en ai assez, de dormir dans les arbres.

C'est plein d'écureuils ; ils savent pas combattre les puces !
Image du Blog jujudu31.centerblog.net
Il faut absolument que je trouve une clairière... »


A suivre...
Eric Gélard

samedi 4 août 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.6

Image du Blog angelofdarknessice.centerblog.net

J'ai dit pas le Sorcier !


« Quand j'ai rouvert les yeux, poursuit Job, j'étais dans mon lit.

La première chose que j'ai vue, c'est la tête du sorcier, en très gros plan et c'est un euphémisme.

Vous savez, une fois, je suis entré chez lui, un jour où je cherchais mon fils. Il vivait au milieu des bois, dans une maison en torchis à l'ancienne ; des murs bas, un toit de chaume très haut avec un grenier surélevé pour dissuader les rongeurs. Je n'ose imaginer ce qu'un sorcier pouvait garder dans son grenier.


Mais sa pièce à vivre était encombrée de rouleaux de parchemins, de tablettes de cire, de fioles et d'appareils étranges, tous en bois, métaux et pièces maudites. L'un d'entre eux utilisait de grosses lentilles en verre. Le jour où je suis entré chez lui, l'engin s'étalait devant lui, en pièces détachées.
Il s'est tourné vers moi, la lentille entre le pouce et l'index, appliquée contre un œil.

Mais alors un œil énorme, noir, grossi davantage en son milieu qu'en son pourtour.

De la pure sorcellerie !

C'est ainsi que j'ai vu le visage de Myrdhin, quand j'ai rouvert les yeux.
Un nez énorme, au dessus d'une barbe blanche mais sous un crâne chauve et des yeux noirs pétillants de malice. Il remplissait tellement l'univers que je distinguais à peine ses oreilles, pourtant décollées comme celles d'un singe.

Il avançait la main vers mon front encore endoloris.
J'étais envahi d'une vague odeur de moisi.
Sur ses doigts dégoulinait une mixture épaisse, brune, tirant sur le vert.
En repoussant son bras, j'ai crié :

« Wohhhhw ! »

J'ai reculé jusqu'au mur, pour me retrouver assis.

«  Que faites-vous, là, lui ai-je demandé ? »

Le vieillard tenait un bol en terre dans l'autre main, empli de la même matière visqueuse.
De sa voix chevrautante, il m'a répondu :

« Je vous pose un emplâtre.
- Un quoi ?
- Un emplâtre. C'est comme un cataplasme, mais au lieu de l'appliquer avec un tissus, je vais le badigeoner sur votre front et mettre un bandage autour.
- Ah non ! Nooon, non, non, non, non ! Pas de sorcellerie sur moi !
- Ce n'est pas de la sorcellerie, c'est de la médecine !
- C'est ça, oui ! Vous m'appliquez des plantes du Diable en espérant que ça va me guérir ! »

La main toujours en l'air, il est resté sans bouger, quelques secondes.
En reculant, il a posé le bras sur une de ses cuisses, s'efforçant de ne pas toucher sa robe de la main. Impeccablement blanche, celle-ci recouvrait entièrement ses jambes. Mais à ses mouvements, je devinais qu'il était à genoux près de la paillasse, assis sur les talons. Il se mouvait avec une souplesse incroyable pour un homme de son âge.

Il a demandé :

« Selon vous, qui a créé les plantes ? »

J'ai répondu :

« Dieu, évidemment !
- Ca règle la question, a-t-il conclu en tendant à nouveau la main vers mon front.
- Ah non, me suis-je exclamé en tentant de reculer encore. »

Le mur pesait contre mon dos...

« Le Diable a perverti bien des plantes, avec son venin de serpent ! »

Il s'est redressé sur les talons.

« Vous alors, s'est-il exclamé ! Vous prenez vraiment tout au pied de la lettre ! »

Tout à coup, une autre voix est intervenue :

« Si une lettre avait des pieds, on n'aurait pas besoin de messager pour l'amener à bon port ! »

C'était celle de mon fils !
Lavé, changé, les cheveux roux encadrant parfaitement son visage couvert de son, il nous contemplait depuis la porte face au lit, nonchalament appuyé contre le chambranle.

En le voyant, Myrdhin a gloussé :

« Hé, hé ! Très spirituel !
- Comment va-t-il ?
- Il a reçu un très gros choc à la tête. Il s'en remettra, même sans se faire soigner. Mais il va avoir mal au crâne pendant quelques temps, sauf s'il me laisse faire. Et il risque encore des vertiges et des pertes de connaissance.
- Oh ! Qu'y-a-t-il dans cette mixture ?
- Eh bien, de la mauve, des prêles des champs, de l'écorce de saule et de la farine de lin pour lier le tout.
- Tu vois, a renchéri Adam à mon intention ! Pas de racines de mandragore, pas de poudre de Perlimpimpin... juste des plantes, à vocation médicinale !
- Et encore, poursuit le sorcier comme pour lui-même ! J'ai été tenté de rajouter de la racine de consoude pour l'os frontal, mais je me suis ravisé ; ton père a le crâne fêlé de naissance. »

Racines de mandragore, poudre de Perlimpimpin... j'ai regardé mon fils :

« D'où connais-tu toutes ces choses ? »

Là, un malaise a envahi la chambre.
Le vieillard était plongé dans la contemplation intense de la mixture sur ses doigts.
Indécis, mon fils a répondu :

« Heu... Myrdhin m'a juste indiqué une ou deux choses à ne pas faire. Lui aussi combat les sorciers.
- Il t'a pris comme élève ?
- Non, non ! Heu... non ! Et puis... même ! Les druides ne sont pas les abomniables démons que tu dépeints tout le temps ! Ce sont des hommes sages. Fou est celui qui refuse d'être soigné par un druide.
- Toi aussi, tu me traites de fou ?
- Allons, est intervenu Myrdhin ! Calmez-vous ! »

Il nous a contemplés l'un après l'autre, puis :

« Nos paroles dépassent nos pensées.
- Pas les miennes, a répondu mon fils d'un air boudeur. »

Un silence pesant s'est abattu sur la chambre.
Finalement, c'est Myrdhin qui a brisé le silence :

« J'ai bien un autre moyen de vous soulager de la douleur, mais si un simple emplâtre vous fait sauter au plafont, vous n'allez pas aimer cette méthode !
- Merci, j'ai ma dose !
- Qu'est-ce que je disais ?
- Entre les sorciers et les chats qui parlent...
- Pardon ? »

L'expression du vieillard avait changé du tout-au-tout. Il affichait une totale stupeur.

« Vous voyez des chats qui parlent, vous ?
- Mais non ! Je ne suis pas fou ! C'est juste un rêve que j'ai fait, juste avant d'ouvrir les yeux sur votre énorme tarin.
- Merci ! »

Apparemment désarçonné, Mydrhin s'est rendu compte qu'il tenait toujours en l'air une main couverte de son emplâtre.

Il l'a essuyée sur le rebord du bol en terre. Le vieil homme a posé le récipient par-terre, près de lui. Il a sorti un chiffon blanc de sa robe, s'est essuyé les mains en me regardant, puis :

« Contez-le moi, votre rêve !
- C'est que... c'est délicat !
- Promis, on ne le répètera à personne.
- Croix de bois, a surenchéri mon fils en posant un poing sur son torse.
- Eh bien... »

Je me suis concentré pour rassembler mes idées. Un point chauffé au fer blanc pulsait au-dessus de mes yeux, rythmé sur les battements de mon cœur.

« Dans mon rêve, j'étais un arbre.
- Vous ? Un arbre ?
- Oui, mais... laissez-moi continuer ! Donc j'étais un arbre. C'était en pleine nuit, dans les bois. Il n'y avait pas un seul nuage dans le ciel. Une branche m'était poussée au milieu du front. Ca me démangeait ! Je ne pouvais pas bouger une seule de mes autres branches pour me gratter.
- Sauf avec le vent, ça ne bouge pas, un arbre.
- Je sais bien ! Par mes racines, je sentais le sol trembler. C'était rythmé et incroyablement fort, comme-si des géants frappaient sur d'énormes tambours. J'ai d'abord vu arriver une jeune fille. Les cheveux aussi noirs que sa tenue, elle est venue s'installer à mes pieds. Puis j'ai senti quelque-chose trotter sur une de mes branches. C'était un chat ! Un chat noir avec une bavette et des pattes blanches. Il est venu s'installer sur la branche qui me poussait au milieu du front. D'une voix féminine, sans regarder la jeune fille, l'animal a lancé :

« Miracle-Express Bonjour ! »

La fille a levé les yeux vers l'animal. Elle a dit :

« C'est toi ? »

Et là, c'est le trou noir.

- Comment ça, le trou noir, s'enquier Myrdhin ?
- Le trou noir. Pas moyen de me souvenir de la suite !
- Concentrez-vous ! »

J'ai fermé les yeux. Je me voyais bien en arbre, la chatte sur une branche, la fille accroupie sur mes racines... je me concentrais pour entendre ce qu'elles avaient à dire ; pas moyen. Ce que la fille était en train de faire...

« Je vous l'ai dit, c'est délicat.
- Vous venez à peine de vous réveiller. Avec un effort, vous devriez encore vous en souvenir !
- Oui, heu.. je sais mais.. la fille...
- Et alors ?
- Elle était en train de faire ses besoins ! »

A nouveau ; un silence. Finalement, le vieillard a soupiré :

« Je vois ce que c'est.
- Eh, je ne suis pas un pervers !
- Loin de moi cette idée ! Mais vous savez, les rêves ont une vie propre. Ils vous envoient parfois des choses qui bloquent un peu la mémoire. »

Le sorcier a réfléchi encore quelques secondes. Il a dit :

« Ecoutez, si vous ne voulez pas que je soulage votre douleur au front, je peux au moins vous rendre votre rêve.
- Encore de la sorcellerie ?
- Non ! Absolument pas, je vous assure ! Pas d'onguents, ni d'emplâtre, ni cataplasmes ni poudres ; je ne vous toucherai même pas.
- Ah ! »

J'ai hésité.

Finalement, j'ai cédé :

« D'accord. Mais vous ne me touchez pas !
- C'est promis ! »


A suivre...
Eric Gélard