jeudi 5 juillet 2012

Les Raves se racontent au Présent 1.4

Episode 1.4 : Interlude (Charlotte)


En d'autres temps, en d'autres lieux...

Charlotte est assise au bord de sa falaise natale.
Elle rêve.
Elle songe à la vie qu'elle aurait pu connaître avec son prince charmant.
Devant elle... sous elle, la mer déroule ses vagues à l'écume blanche.
Elle soupire :

« Une vie juste à deux ; sans parasites ! »

Ses jambes pendent dans le vide, les baskets contre la parois. Elle porte un jean et un haut rose dont la manche droite laisse entrevoir un bracelet cuivré. .

Ce bijou, il le lui a offert lors de la Saint Valentin.
La vie semblait tellement prometteuse... avant le retour des casse-pieds !
Un conte de fée où il aurait pu enfin être tout à elle...

Mais droit devant, le prince charmant disparaît dans la brume, sous un ciel parfaitement bleu.
Un seul nuage, blanc, s'étire devant le Soleil.
On dirait...
Juste une trace de neige.

Des goélands jouent à Qui-Pêche-Gagne, au dessus de l'écume.
Les oiseaux tracent des cercles, plongent...
L'un d'entre eux prend de l'altitude.
Dans un large cercle, il vient se poser juste à côté de Charlotte.
Elle le regarde, n'osant bouger de peur qu'il s'envole.

« Salut, toi ! »

Bien sûr, pas de réponse.
La tête de l'oiseau bouge par mouvements saccadés, scrutant toutes les directions.
Son regard croise celui de Charlotte.

« Qu'est-ce que t'en dis, demande-t-elle ? »

Elle se penche un peu pour contempler l'écume, loin sous ses pieds.

« Si je disparais, tu crois qu'il s'en rendra compte ? »

Elle laisse passer quelques secondes, puis :

« Si je saute, là... il sera libre ! »

Le goéland ne la quitte pas des yeux.
Charlotte s'emballe :

« Il pourra faire la bringue tous les soirs, si ça le chante. S'envoyer en l'air, de la façon qu'il veut et avec son singe parlant même si ça l'excite ! »

Une larme coule le long de sa joue droite.
Le goéland déplie ses ailes et s'envole.

« T'as raison, s'exclame Charlotte en regardant l'oiseau s'envoler ! Je suis pas de bonne compagnie ! »

Elle reste là un moment, à regarder ses pieds balancer dans le vide, les mains appuyées de chaque côté de ses genoux au bord de la falaise.
En poussant juste sur ses bras...
Elle glisserait, comme un drap tombe du lit. Elle plongerait dans l'écume et se changerait en sirène.

« Si ça marche, tu m'enverras la méthode, dit une voix féminine sur sa droite ! »

Charlotte tourne la tête.
Son imagination lui joue des tours.
Elle a entendu parler, mais il n'y a personne.
Juste un chat.
Un chat siamois ; Blanc-crème, avec une bouille et des pattes brunes.
Il est couché au bord de la falaise, tourné vers le Soleil.
A l'horizon, le ciel commence à prendre des teintes orangées au-dessus de la brume.
Charlotte regarde autour d'elle... de l'autre côté, le goéland est revenu. Ou alors c'est un de ses congénères.
Pas un seul être humain à part elle.

« Je suis là ! »

La voix vient du chat !

« Je suis en train de rêver, c'est ça, demande Charlotte?
- Pas forcément, répond le chat de sa voix féminine.
- Je discute avec un chat ! Alors je suis folle. Ça y est, tout ça, ça m'a fait perdre la tête.
- Une chatte, s'il te plaît. Et il peut y avoir d'autres raisons pour que tu te retrouve à papoter avec moi.
- Lesquelles ? Ça m'intéresse !
- Eh bien, t'as demandé un conte de fée, le voilà !
- Ok, je suis folle.
- Si tu veux. »

Un instant passe, puis :

« Mais tant qu'on est là, reprend la chatte, raconte moi comment t'as perdu la raison !
- C'est complètement stupide. »

Quelques secondes encore...

« Dis toujours, insiste la chatte ! »

Enfin, Charlotte répond :

« Mon mec se trimbale un boulet au pied depuis l'enfance.
- Et c'est pour ça que tu veux te jeter dans le vide ? Tu n'as qu'à scier la chaîne !
- C'est pas à moi de le faire. »

L'animal tourne la tête vers la jeune femme.

« Qu'est-ce que tu entends par boulet ?
- Un parasite, un traîne-savates, un pique-assiette... un connard ! »

Elle a presque crié le dernier mot.
A sa gauche, le goéland s'envole encore.

« Ça va mieux, demande la chatte ? »

Elle est de nouveau tournée vers le Soleil. L'astre est descendu, presque à toucher la brume devenue rose-orangée. On dirait de la barbe-à-papa étalée sur la mer.

« Un peu, répond Charlotte. Tu sais, il existe des mecs tellement chiants qu'on en arrive à comprendre le meurtre. Incapable de gérer sa vie, ça vient crier au secours quand ça se retrouve à la rue, ça squatte ton salon, ça se permet même d'inviter les potes sans ta permission tous les soirs. S'ils se contentaient de fumer la moquette, encore ! Ça se sert même de ton appart pour faire du biz !
- Du biz ?
- Du business ! Qu'est-ce que tu crois ? C'est un junkie ! Un dealer !
- Et ton mec, il se drogue ?
- Non ! Enfin, il a fumé de l'herbe, dans sa jeunesse. Mais là, il est en train de reprendre le bédo.
- Le bédo ?
- Le haschisch ! A cause de son pote.
- Mais flanquez-le dehors !
- Ah, non ! C'est un ami d'enfance ! »

Le Soleil plonge dans la brume.
Charlotte écoute le grondement des vagues, le chant des goéland...
De temps en temps, des embruns viennent rafraîchir son visage.
La chatte dit enfin :

« Si tu en es à te jeter dans le vide, c'est à toi de mette ton copain devant un choix : son pote ou toi.
- Il choisira la personne qui lui a rien demandé, surtout si c'est lui.
- Alors vas-t-en ! »

Charlotte soupire.
Dans un sanglot, elle murmure :

« Je survivrai pas sans mon mec. »

La lumière décroit.
Il ne reste que la moitié du Soleil.
Le ciel est en feu, du rouge au mauve.
Charlotte reprend :

« Et maintenant, son pote veut nous amener en teuf.
- En teuf ?
- En rave-party. Il va y avoir un teknival. Un gros, il paraît.
- Ces fêtes où on dresse des murailles d'enceintes dans les champs et où on danse sur de la musique techno ?
- C'est ça. Et où on se dépouille la tronche à n'importe-quoi jusqu'à se griller la cervelle.
- C'est un peu noir ! T'es déjà allée, en teuf ?
- Jamais. Mais on sait ce qui s'y passe ! Là, j'ai vraiment peur de perdre mon mec.
- Alors vas-y.
- Pardon ? »

Charlotte contemple l'animal, surprise.

« Il ira de toute façon, répond la chatte. Si tu veux pas le perdre, vas-y aussi. Soit son garde-fou.
- J'ai plus la force.
- Tu as plus de force que tu ne crois !
- Sans blague !
- Je ne serais pas là, sinon.
- T'es là parce que je suis folle !
- Tu ne le saurais même pas, si tu étais folle. »

Le Soleil a presque disparu dans la brume.
Il reste juste un point rouge, qui s'évanouit à son tour.

« Et puis, reprend la chatte. Ça ne sert à rien de s'en faire une montagne d'avance. Partout, les choses peuvent prendre une tournure miraculeuse, même en teuf !
- Ça fait longtemps que je l'attends, le miracle.
- Justement, attends encore ! C'est rares les miracles. Ce serait dommage que tu saute maintenant alors qu'il y en a peut-être un qui t'attend là bas ! Si ça se trouve, ça ne sera pas du tout comme tu l'imagines !
- Et je me réveillerai au Paradis, c'est ça ?
- Pardon ?
- Non, rien... un bouquin que je suis en train de lire. »

A nouveau, la chatte contemple Charlotte.

« Vas-y, t'as rien à perdre. Et puis, regarde moi ! »

Charlotte tourne la tête vers elle.

« C'est une chatte qui parle qui te promet un miracle ! Tant qu'à être folle, fonce ! »

Un long silence s'installe.
Les goélands ne sont plus que des ombres qui tournoient au-dessus des vagues.
Dans le ciel s'allume une étoile, puis deux...

« D'accord, décide enfin Charlotte. Et advienne que pourra ! »

Elle se lève, tourne le dos à la falaise...

« Tu viens, demande-t-elle par-dessus son épaule ?
- J'ai à faire, répond la chatte. Mais on se reverra !
- Si tu le dis ! »

Charlotte fait quelques pas sur les rochers.

« Attend ! La rappelle la chatte. »

Charlotte se retourne :

« Quoi ?
- Le bouquin que t'es en train de lire... »

La siamoise aussi s'est levée. Elle s'éloigne du bord de la falaise, dans une autre direction.

« Je me suis réveillé au Paradis, demande Charlotte ?
- Oui ! »

A son tour la chatte tourne la tête vers la jeune femme :

« Prends-le avec toi !
- Quoi, en teuf ? Tu crois que j'aurai le temps de lire ?
- Je ne sais pas. Mais prends-le quand-même. »

Pendant un instant, elles se regardent, immobiles.

« Fais-moi confiance, insiste la chatte ! Prends-le ! »

Vers l'Est, le ciel bleu sombre est déjà piqueté d'étoiles.
Un miracle, rien que ça !
Un conte de fée...
Ou un rêve absurde.
Charlotte n'est pas encore décidée.

« D'accord, répond-elle quand-même. Je l'emmène.
- Porte toi bien ! »

Charlotte et la chatte siamoise se séparent.
La nuit est tombée.
Un goéland vient se poser sur la falaise.


A suivre...


Eric Gélard

2 commentaires:

  1. Ça alors, Poke ! Avec tous les spams que je reçois par jour, j'avais même pas vu que t'étais passé ;o/

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