jeudi 2 août 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.5

Episode 1.5 : Non ! Pas le sorcier !


« Waahhhhh, s'écrie l'albinos !
- T'es tombé dans les pommes, enchaîne le lapin gris ?
- Mortel, s'exclame le petit brun au premier rang ! »

Ce dernier fait tournoyer une patte devant ses yeux. Il mime un choc frontal avant d'atterir sur le dos dans l'herbe. Les autres autour de lui s'écroulent de rire.
« Sur le moment, j'ai pas trouvé ça drôle, réagit Job ! Ca fait plutôt mal !
- Quand-même, reprend le lapin gris...
- Ca doit pas arriver tous les zours, d'embrasser un pied de table, zozotte le blanc crème.
- Non, en effet, répond Job en gloussant.
- T'y es resté longtemps, dans les pommes ?
- Oui et non. Je me suis réveillé une première fois... »

Son regard se perd dans le vide.
Quelques secondes passent...

« Maintenant que je vous vois... c'est vraiment étrange.
- Qu'est-ce qui est étrange, demande le lapin gris ?
- Eh bien, j'émergeais d'un rêve vraiment bizarre. Vous voyez, le genre de rêve qui ne laisse qu'une impression...
- Donc tu t'en souviens plus ?
- Dès mon réveil, je m'en souvenais déjà plus. J'avais l'impression d'avoir dormi toute une nuit. Mais ça n'avait probablement pas duré plus d'une minute ! Jamais je n'ai réussi à retrouver à quoi j'avais bien pu rêver. C'était comme surgir d'un autre monde. Mais là... »

L'homme claque des doigts.

« Sans blagues, réagit le gris ? T'as retrouvé ?
- J'ai une image. Elle m'est venue en te regardant.
- Moi ?
- Oui !
- Qu'est-ce que tu as vu ?
- Un autre lapin gris. J'émergeais d'un rêve où je discutais avec un lapin !
- Fais gaffe, s'exclame le gros noir dans le fond !
- On en prend facilement l'habitude, termine un autre sur la droite.
- Qu'est-ce qu'il disait, demande le gris ?
- C'est ça qui est étrange. D'abord, c'était irréel. C'était comme si tout le décor avait été peint à l'encre multicolore. Le lapin, gris avec un museau et des oreilles fourrées de blanc, tenait une carotte entammée à la main. Il sortait d'une sorte de boite noire, ronde, avec un rebord. Il a croqué sa carotte. La bouche pleine, il a dit : « Quoi de neuf, Docteur ? »... et paf ! Je me suis réveillé.

J'entendais la voix de ma femme qui criait :

« Job ! Job ! Pour l'amour de ton dieu, mais réveille-toi ! »

J'ai ouvert les yeux.
J'étais allongé sur le ventre.
J'avais le front en feu et de la poussière plein la bouche.
Ma langue était lourde et pâteuse.
De la terre !
Le bras droit en avant, l'autre le long de mon corps ; les pieds joints et les genoux écartés... je gisais face contre terre la bouche grande ouverte.

Comment ça, mon dieu ?

Laborieusement, j'ai ramené mes mains. Je les ai posées de part et d'autre de mes oreilles. J'ai tendu les bras en poussant un râle...

Il ne restait plus rien de mon office.

Le nuage de poussière retombait, lentement.

En tournant la tête, j'ai vu ma femme, accroupie près de moi. Ses cheveux longs étaient couverts de poussière. Ca faisait ressortir les reflets bleus dans ses yeux gris. Mais sa robe si verte d'ordinaire avait perdu de son éclat.

Elle a dit :

« Ca va ? »

J'ai craché un peu de terre et j'ai marmonné :

« J'ai la tête en feu.
- Tu as fait un tour sur toi-même avant de toucher le sol ! Je t'ai vu, depuis la maison ! »

Elle s'est approchée le regard rivé sur mon front...

« Tu va bien ?
- Adam ?
- Non ! Regarde moi ! C'est Marine !
- Heu... »

Machinalement, j'ai secoué la tête.
J'ai ressenti comme une explosion au-dessus de mes yeux.

« Non... je veux dire... Adam va bien ?
- Wan était avec toi ? »

Elle s'est levée d'un bond, pour courir vers les ruines de l'office.
Elle s'est arrêtée quand elle a vu Adam qui contournait les débris, sur la droite, couvert de poussière lui aussi.
Il a crié :

« Comment va Père ? »

Ma tête se renvoyait son cri comme un écho.

Marine s'est retournée. Elle m'a regardé... les ruines de mon office tanguaient derrière elle. Je sentais mes bras faiblir.
Elle s'est tournée à nouveau vers Adam pour crier à son tour :

« Va chercher Myrdhin ! »

J'ai hurlé :

« Nooooonn ! »

Toute ma poitrine vibrait à en faire exploser ma pauvre tête.

« Pas le sorcier ! »

Elle m'a regardé encore, puis une nouvelle fois mon fils :

« Va le chercher ! »

Marine est revenue vers moi tandis qu'Adam partait en courant vers la cité.
Je me suis roulé sur le côté.
J'étais pris d'un gigantesque vertige.

Elle s'est accroupie près de moi.
Elle a délicatement pris ma tête pour la mettre sur ses genoux.
Tout en m'enfonçant dans une gangue de coton, je sentais ses doigts caresser mes cheveux.
D'une voix pâteuse, j'ai dit :

« Je veux pas... »

J'ai dégluti...

« Pas le sorcier ! »

Elle a répondu d'une voix douce, alors que je sombrais encore dans l'inconscience :

« Je ne vais pas laisser un dieu t'interdire de te faire soigner. »

A suivre...
Eric Gélard

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