samedi 4 août 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.6

Image du Blog angelofdarknessice.centerblog.net

J'ai dit pas le Sorcier !


« Quand j'ai rouvert les yeux, poursuit Job, j'étais dans mon lit.

La première chose que j'ai vue, c'est la tête du sorcier, en très gros plan et c'est un euphémisme.

Vous savez, une fois, je suis entré chez lui, un jour où je cherchais mon fils. Il vivait au milieu des bois, dans une maison en torchis à l'ancienne ; des murs bas, un toit de chaume très haut avec un grenier surélevé pour dissuader les rongeurs. Je n'ose imaginer ce qu'un sorcier pouvait garder dans son grenier.


Mais sa pièce à vivre était encombrée de rouleaux de parchemins, de tablettes de cire, de fioles et d'appareils étranges, tous en bois, métaux et pièces maudites. L'un d'entre eux utilisait de grosses lentilles en verre. Le jour où je suis entré chez lui, l'engin s'étalait devant lui, en pièces détachées.
Il s'est tourné vers moi, la lentille entre le pouce et l'index, appliquée contre un œil.

Mais alors un œil énorme, noir, grossi davantage en son milieu qu'en son pourtour.

De la pure sorcellerie !

C'est ainsi que j'ai vu le visage de Myrdhin, quand j'ai rouvert les yeux.
Un nez énorme, au dessus d'une barbe blanche mais sous un crâne chauve et des yeux noirs pétillants de malice. Il remplissait tellement l'univers que je distinguais à peine ses oreilles, pourtant décollées comme celles d'un singe.

Il avançait la main vers mon front encore endoloris.
J'étais envahi d'une vague odeur de moisi.
Sur ses doigts dégoulinait une mixture épaisse, brune, tirant sur le vert.
En repoussant son bras, j'ai crié :

« Wohhhhw ! »

J'ai reculé jusqu'au mur, pour me retrouver assis.

«  Que faites-vous, là, lui ai-je demandé ? »

Le vieillard tenait un bol en terre dans l'autre main, empli de la même matière visqueuse.
De sa voix chevrautante, il m'a répondu :

« Je vous pose un emplâtre.
- Un quoi ?
- Un emplâtre. C'est comme un cataplasme, mais au lieu de l'appliquer avec un tissus, je vais le badigeoner sur votre front et mettre un bandage autour.
- Ah non ! Nooon, non, non, non, non ! Pas de sorcellerie sur moi !
- Ce n'est pas de la sorcellerie, c'est de la médecine !
- C'est ça, oui ! Vous m'appliquez des plantes du Diable en espérant que ça va me guérir ! »

La main toujours en l'air, il est resté sans bouger, quelques secondes.
En reculant, il a posé le bras sur une de ses cuisses, s'efforçant de ne pas toucher sa robe de la main. Impeccablement blanche, celle-ci recouvrait entièrement ses jambes. Mais à ses mouvements, je devinais qu'il était à genoux près de la paillasse, assis sur les talons. Il se mouvait avec une souplesse incroyable pour un homme de son âge.

Il a demandé :

« Selon vous, qui a créé les plantes ? »

J'ai répondu :

« Dieu, évidemment !
- Ca règle la question, a-t-il conclu en tendant à nouveau la main vers mon front.
- Ah non, me suis-je exclamé en tentant de reculer encore. »

Le mur pesait contre mon dos...

« Le Diable a perverti bien des plantes, avec son venin de serpent ! »

Il s'est redressé sur les talons.

« Vous alors, s'est-il exclamé ! Vous prenez vraiment tout au pied de la lettre ! »

Tout à coup, une autre voix est intervenue :

« Si une lettre avait des pieds, on n'aurait pas besoin de messager pour l'amener à bon port ! »

C'était celle de mon fils !
Lavé, changé, les cheveux roux encadrant parfaitement son visage couvert de son, il nous contemplait depuis la porte face au lit, nonchalament appuyé contre le chambranle.

En le voyant, Myrdhin a gloussé :

« Hé, hé ! Très spirituel !
- Comment va-t-il ?
- Il a reçu un très gros choc à la tête. Il s'en remettra, même sans se faire soigner. Mais il va avoir mal au crâne pendant quelques temps, sauf s'il me laisse faire. Et il risque encore des vertiges et des pertes de connaissance.
- Oh ! Qu'y-a-t-il dans cette mixture ?
- Eh bien, de la mauve, des prêles des champs, de l'écorce de saule et de la farine de lin pour lier le tout.
- Tu vois, a renchéri Adam à mon intention ! Pas de racines de mandragore, pas de poudre de Perlimpimpin... juste des plantes, à vocation médicinale !
- Et encore, poursuit le sorcier comme pour lui-même ! J'ai été tenté de rajouter de la racine de consoude pour l'os frontal, mais je me suis ravisé ; ton père a le crâne fêlé de naissance. »

Racines de mandragore, poudre de Perlimpimpin... j'ai regardé mon fils :

« D'où connais-tu toutes ces choses ? »

Là, un malaise a envahi la chambre.
Le vieillard était plongé dans la contemplation intense de la mixture sur ses doigts.
Indécis, mon fils a répondu :

« Heu... Myrdhin m'a juste indiqué une ou deux choses à ne pas faire. Lui aussi combat les sorciers.
- Il t'a pris comme élève ?
- Non, non ! Heu... non ! Et puis... même ! Les druides ne sont pas les abomniables démons que tu dépeints tout le temps ! Ce sont des hommes sages. Fou est celui qui refuse d'être soigné par un druide.
- Toi aussi, tu me traites de fou ?
- Allons, est intervenu Myrdhin ! Calmez-vous ! »

Il nous a contemplés l'un après l'autre, puis :

« Nos paroles dépassent nos pensées.
- Pas les miennes, a répondu mon fils d'un air boudeur. »

Un silence pesant s'est abattu sur la chambre.
Finalement, c'est Myrdhin qui a brisé le silence :

« J'ai bien un autre moyen de vous soulager de la douleur, mais si un simple emplâtre vous fait sauter au plafont, vous n'allez pas aimer cette méthode !
- Merci, j'ai ma dose !
- Qu'est-ce que je disais ?
- Entre les sorciers et les chats qui parlent...
- Pardon ? »

L'expression du vieillard avait changé du tout-au-tout. Il affichait une totale stupeur.

« Vous voyez des chats qui parlent, vous ?
- Mais non ! Je ne suis pas fou ! C'est juste un rêve que j'ai fait, juste avant d'ouvrir les yeux sur votre énorme tarin.
- Merci ! »

Apparemment désarçonné, Mydrhin s'est rendu compte qu'il tenait toujours en l'air une main couverte de son emplâtre.

Il l'a essuyée sur le rebord du bol en terre. Le vieil homme a posé le récipient par-terre, près de lui. Il a sorti un chiffon blanc de sa robe, s'est essuyé les mains en me regardant, puis :

« Contez-le moi, votre rêve !
- C'est que... c'est délicat !
- Promis, on ne le répètera à personne.
- Croix de bois, a surenchéri mon fils en posant un poing sur son torse.
- Eh bien... »

Je me suis concentré pour rassembler mes idées. Un point chauffé au fer blanc pulsait au-dessus de mes yeux, rythmé sur les battements de mon cœur.

« Dans mon rêve, j'étais un arbre.
- Vous ? Un arbre ?
- Oui, mais... laissez-moi continuer ! Donc j'étais un arbre. C'était en pleine nuit, dans les bois. Il n'y avait pas un seul nuage dans le ciel. Une branche m'était poussée au milieu du front. Ca me démangeait ! Je ne pouvais pas bouger une seule de mes autres branches pour me gratter.
- Sauf avec le vent, ça ne bouge pas, un arbre.
- Je sais bien ! Par mes racines, je sentais le sol trembler. C'était rythmé et incroyablement fort, comme-si des géants frappaient sur d'énormes tambours. J'ai d'abord vu arriver une jeune fille. Les cheveux aussi noirs que sa tenue, elle est venue s'installer à mes pieds. Puis j'ai senti quelque-chose trotter sur une de mes branches. C'était un chat ! Un chat noir avec une bavette et des pattes blanches. Il est venu s'installer sur la branche qui me poussait au milieu du front. D'une voix féminine, sans regarder la jeune fille, l'animal a lancé :

« Miracle-Express Bonjour ! »

La fille a levé les yeux vers l'animal. Elle a dit :

« C'est toi ? »

Et là, c'est le trou noir.

- Comment ça, le trou noir, s'enquier Myrdhin ?
- Le trou noir. Pas moyen de me souvenir de la suite !
- Concentrez-vous ! »

J'ai fermé les yeux. Je me voyais bien en arbre, la chatte sur une branche, la fille accroupie sur mes racines... je me concentrais pour entendre ce qu'elles avaient à dire ; pas moyen. Ce que la fille était en train de faire...

« Je vous l'ai dit, c'est délicat.
- Vous venez à peine de vous réveiller. Avec un effort, vous devriez encore vous en souvenir !
- Oui, heu.. je sais mais.. la fille...
- Et alors ?
- Elle était en train de faire ses besoins ! »

A nouveau ; un silence. Finalement, le vieillard a soupiré :

« Je vois ce que c'est.
- Eh, je ne suis pas un pervers !
- Loin de moi cette idée ! Mais vous savez, les rêves ont une vie propre. Ils vous envoient parfois des choses qui bloquent un peu la mémoire. »

Le sorcier a réfléchi encore quelques secondes. Il a dit :

« Ecoutez, si vous ne voulez pas que je soulage votre douleur au front, je peux au moins vous rendre votre rêve.
- Encore de la sorcellerie ?
- Non ! Absolument pas, je vous assure ! Pas d'onguents, ni d'emplâtre, ni cataplasmes ni poudres ; je ne vous toucherai même pas.
- Ah ! »

J'ai hésité.

Finalement, j'ai cédé :

« D'accord. Mais vous ne me touchez pas !
- C'est promis ! »


A suivre...
Eric Gélard

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