dimanche 12 août 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.7

Rembobinage


Alors que je travaillais avec mon fils sur la conception d'une nouvelle maison, reprend Job, un tremblement de terre a fait s'écrouler mon bel atelier en forme de zôme presque sur nos têtes.

J'ai failli y passer : je me suis pris un pied de table en pleine figure et paf ; dans les pommes !
Je me suis réveillé une première fois, face contre terre et de la poussière plein la bouche. Mon fils allait bien, mais ma si merveilleuse femme l'a envoyé chercher un sorcier pour me soigner... moi ; Job ! J'ai résisté.. et voilà qu'elle me parle de mon Dieu, comme si elle n'y croyait pas elle aussi !

Je n'ai pas eu le temps de discuter ; je suis retombé dans les pommes.

Quand j'ai rouvert les yeux, j'étais dans mon lit.
Je sortais d'un rêve où j'étais un arbre. C'était bizarre. Une branche me grattait, au milieu du front ; une chatte s'était posée dessus pour discuter avec une fille venue s'accroupir sur mes racines pour...

Eh bien, heu...

Enfin... j'ai ouvert les yeux.

La première chose que j'ai vue, c'est le sorcier qui s'apprêtait à m'engluer le front avec je ne sais quel onguent diabolique. Mais avec une tête ! Chauve, une barbe moins blanche que sa robe, un nez grand comme une main et des oreilles de singe.

Là, j'ai reculé !

Il a insisté un peu ; j'ai dit non : pas de sorcellerie sur moi !

C'est là que mon fils de quinze ans a débarqué.

En un échange entre le vieux et Adam, je me suis soudain demandé si on me prenait pas pour une truffe ; le garçon était apparemment devenu l’élève du sorcier.

Ils ont nié.

Par contre, quand j'ai dit au vieux que je sortais d'un rêve où les chats parlent, ça a eu l'air de l'intéresser. Il a enfin abandonné l'idée de me répandre sa mixture infâme sur le front. Malheureusement, je ne me souvenais plus vraiment de mon rêve. Il était quelque-peu... dérangeant.

Mais le sorcier m'a alors assuré qu'il pouvait me le rendre. Pas d'onguent, ni de poudres maléfiques ; il ne me toucherait même pas.

Dans ces conditions, j'ai accepté : il avait l'air tellement surpris que je puisse rêver de chats qui parlent ; je voulais savoir !

Mais je n'en menais pas large ; c'est quelque-chose de se retrouver face à un sorcier. 

Toujours à genoux près de la paillasse, il s'est avancé vers moi.
Il a levé un index devant mes yeux en disant :

« Regardez attentivement le bout de mon doigt ! »

Là, j'ai compris !
J'ai reculé, m'écriant :

« Arrêtez ! »

Battant en retraite lui aussi, il a marmonné :

« Faudrait savoir !
- Ça y est : j'ai compris !
- Mais compris quoi ?
- C'est dans votre doigt ! »

Il a regardé son doigt...
A la porte, mon fils secouait la tête en soupirant, les yeux vers le sol.

« Qu'y a-t-il dans mon doigt, s'étonnait Myrdhin ? »

J'ai répondu :

« Mais votre pouvoir ! Vous avez concentré tous vos pouvoirs sataniques au bout de votre doigt et vous allez me jeter un sort, c'est ça ? »

Il a soupiré à son tour en baissant les bras :

« Très bien ! On ne peut pas aider quelqu'un qui refuse. »

Le vieil homme est resté silencieux un moment...
Il a regardé Adam toujours appuyé au chambranle de la porte. Il a pris une grande inspiration...

Soudain, il a aboyé :

« Wan !
- Oui, a répondu mon fils ?
- Viens ! »

Le sorcier ouvrait une large manche vers Adam, l'autre vers le côté opposé du lit.
Se tournant vers moi, il m'a proposé :

« Écoutez : on peut prendre le doigt de votre fils ! Lui, vous le connaissez ! Vous savez que ce n'est pas un sorcier ; il n'y a aucun pouvoir maléfique au bout de ses doigts. Ça vous va ? »

J'ai réfléchi un instant. Adam s'était installé en face de Myrdhin ; genoux écartés, assis sur les talons. Il paraissait indécis. Il triturait une mèche de ses cheveux roux devant ses yeux étonnés.

Le sorcier, lui, me fixait ; interrogateur.

J'ai finalement réagi :

« D'accord. Mais vous, vous ne bougez pas ! Vous ne vous approchez même pas de moi ! »

Le vieil homme s'est redressé sur ses talons en disant :

« Croix de bois ! S'il y a de la magie, elle est dans votre tête. »

Il s'est alors adressé à mon fils :

« Wan, tu vas tendre un doigt ; un index. »

J'ai précisé :

« Il s'appelle Adam depuis qu'il a embrassé la Foi. »

Le vieil homme a enchainé sans faire attention à moi :

« Fais-le osciller à un coude de ses yeux. »

Dépliant les jambes, Adam s'est avancé vers moi.  Il a tendu un doigt devant mon nez, le faisant osciller de droite et de gauche.

« Moins vite, a repris Myrdhin. Regardes ses yeux, pas ton doigt. Fais attention à ce que je fais, pas à ce que je dis. »

Il s'est adressé à moi :

« Vous c'est l'inverse ; vous faites attention à ce que je dis et uniquement à ce que je dis : vous allez vous détendre.  »

Sa voix avait quelque-chose d'apaisant. Il parlait lentement ; laissait passer plusieurs secondes entre chaque phrases.

« Vous avez reçu un choc ; vous avez besoin de repos. Laissez-vous aller : détendez-vous ! »

J'ai cessé peu à peu de presser mon dos contre le mur derrière moi. 
Le doigt de mon fils oscillait toujours devant mes yeux.
Sous sa main, la manche brune de sa tunique pendait d'un côté, de l'autre...

« Vous allez vous endormir, poursuivait Myrdhin. »

Mes paupières commençaient à se fermer d'elles-mêmes.

Je les sentais lourdes !

Cette main, tendue vers moi le doigt en l'air, engagée dans un perpétuel aller-retour devant mes yeux ; tout l'univers bougeait derrière elle !

A droite, puis à gauche...

« Vous êtes fffffatigué, soufflait le sorcier ! »

J'ai cligné des yeux...

Une fois...

La main balançait ; ma tête aussi...
Je me suis entendu prendre une grande inspiration, profondément... puis souffler lentement jusqu'à vider l'air de ma poitrine.

Deux fois...

A la deuxième inspiration, mon nez s'est mis à vibrer... j'ai failli lâcher des yeux la main qui dansait devant moi ; je ronflais !

Mes paupières, elles dansaient.

Lentement.

De plus en plus, cette main et l'ombre floue derrière elle m'apparaissaient comme les images immobiles... comment dire ? D'une scène découpée en instants figés, présentés bout à bout avec un intervalle croissant.

Un coup à droite... le visage de mon fils...

Un coup à gauche... celui du sorcier...

Et ce ronflement qui faisait vibrer l'intégralité de mon corps...

Finalement, j'ai fermé les yeux.

« Vous entendez, demandait la voix grave et douce du sorcier ? C'est vous ! Vous êtes profondément endormi. »

J'ai répondu :

« J'entends ! »

J'ai repris un grand bol d'air, les yeux fermés.

Je me sentais bien !

Calme.

Apaisé.

Ma douleur au front s'était changée en un écho lointain pulsant comme certaines étoiles, la nuit.

La voix disait :

« Il fait nuit. Vous êtes un arbre... »

Une par une, dans l'obscurité rose de mes paupières, des étoiles se sont allumées.

J'ai senti une brise caresser mon feuillage... j'étais un arbre ! Un châtaignier ; les fruits enfermés dans leurs coques piquantes alourdissaient mes branches.

Je sentais une... deux.... trois vibrations faire trembler mes racines, comme si trois géants frappaient 
chacun son tambour avec rythme ; parfois synchronisés, parfois non.

Dans ces vibrations, j'en trouvais d'autres encore, plus ténues, plus lointaines...

J'étais un arbre parmi d'autres, au bord d'un champ couvert d'herbes hautes.

Quelque-chose me courait sur le tronc... sur mes branches, s'agrippant avec des griffes plus fines, largement plus coupantes que celles d'un écureuil.

Je ne saurais vous dire comment je savais ça ; je le savais, c'est tout !

Pas besoin de regarder en bas pour savoir qu'un chat vous grimpe dessus.
Il est venu se poser sur cette satanée branche qui me grattait, au milieu du front.

Tout à coup, j'ai senti quelqu'un se poser sur mes racines.

J'ai ouvert ce que j'ai pu de mes perceptions... Je me suis tendu jusqu'au bout de la moindre ramure, la moindre feuille, la moindre épine de châtaigne ; jusqu'au bout de la moindre de mes racines et j'ai vu !

Alors que, d'une voix féminine, le chat lançait :

« Miracle-Express ; bonjour ! »

J'ai vu une jeune fille vêtue de noir s'accroupir sur mes racines en levant les yeux vers les branches. Là haut, un chat noir avec une bavette et des pattes blanches s'était couché sur l'une d'entre elles. Il contemplait la jeune fille.
Celle-ci s'est exclamé :

« C'est toi ? »

Puis...

Rien.

L'image s'est figée.

Myrdhin a dit :
« Maintenant, on change de décor. Seuls les personnages restent. Il fait jour ; le ciel est parfaitement bleu. Vous êtes un rocher au milieu d'une prairie. La jeune fille est venue pour réfléchir, rien d'autre. »

Prenant son temps, il a continué ainsi de me décrire un nouveau décor.

C'était incroyable.

Je n'étais plus un arbre, mais un menhir !



A suivre...
Eric Gélard

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