mercredi 22 août 2012

L'Homme qui courait après sa Chance 1.8


Supergol


Je me suis d'abord retrouvé dans la pierre d'un menhir.

J'étais un menhir !

Le plus incroyable, c'était de me sentir respirer quand-même ; comme me retrouver au fond de l'eau dans un rêve... c'était de sentir sans bouger d'un cheveu un vent légèrement salé parcourir ma surface !
C'était d'être là, au milieu d'une immense prairie d'un vert le plus pur et parsemée de fleurs ; de pouvoir sans yeux distinguer le moindre brin d'herbe, la moindre pâquerette... chaque insecte bourdonnant dans un concert avec le vent, le coucou et la tourterelle au loin...

Tout était incroyable.

Et ça sentait bon !
Un parfum vert, presque sucré.

Je voyais tout !
Sous un ciel d'un bleu éblouissant.

La voix de Myrdhin continuait de poser le décor :

« Il y a deux autres grande pierres autour de vous ; une de chaque côté... »

L'un après l'autre, j'ai vu d'autres menhirs sortir de l'herbe ; un à ma droite, un de l'autre côté... trois autres, alignés plus loin, sur la gauche... trois sur la droite... six autres plus loin encore ; trois de chaque côté.

J'étais au sommet d'un arc ovoïde de quinze menhirs disposés trois par trois.

« D'autres pierres apparaissent, plus grandes encore... »

Derrière chaque trinité de menhirs, de gigantesques constructions se sont dressées, cachant une bonne partie du ciel. Chacune d'elles présentait trois pierres ; deux pilier au moins trois fois plus hauts que les premiers menhirs et un gros bloc couché dessus.

Tout autour s'est dessiné un cercle de menhirs, puis plus loin encore un cercle de géants supportant d'autres pierres couchées... il y en avait des dizaines !
J'étais au centre d'une construction énorme.

Devant moi, quasiment à mon pied, composé de trois pierres grises aussi ; quelque-chose qui ressemblait à un autel. Long, plat, il paraissait minuscule au regard du reste.

« C'est un banc, poursuivait la voix douce du sorcier. La jeune fille vêtue de noir vient s'asseoir dessus. Juste s'asseoir. »

La fille de mon rêve est arrivée par l'avenue ainsi formée. Tunique et braies serrées aussi noires que ses cheveux aux reflets aile de corbeau, elle s'est assise sur le banc en pierre presque à mon pied.

Elle me tournait le dos ; j'aurais pu me pencher sur elle.

Une voix féminine a dit :

« Miracle-Express ; bonjour ! »

J'ai de nouveau étendu mes perceptions, mais au travers de centaines... de milliers, de millions de minuscules grains de granit composant ma surface et aussi celle de mes voisins.

La brise s'était calmée ; mes grands frères trilithes me protégeaient du vent.

J'ai vu !

J'ai vu la chatte au sommet d'un trilithe de pierre, sur la droite.
Ce n'était plus la même !

J'ai murmuré :

« Elle n'est plus noire mais grise ; entièrement grise avec un reflet bleu ! »

La jeune fille a levé les yeux vers l'animal, s'écriant :

« C'est toi ? »

La chatte bleue a répondu :

« Qui veux-tu que je sois ? »

Elle parlait d'une voix basse, grave mais indéniablement féminine.

« Tu n'es pas la même, s'est étonnée la jeune-fille.
- Je passe de robe en robe, c'est dans ma nature ! »

Elles ont laissé passer quelques secondes sans rien dire, puis la chatte a dit :

« Alors ?
- Alors quoi ? Tu veux que je te dise que t'avais raison ?
- Non ! Je veux que tu me dises comment tu vas.
- Eh bien, t'avais raison. J'ai suivi ton conseil ; j'ai accompagné mon mec et son boulet en teuf. Apparemment, il y a deux rave-parties. T'as dû déjà voir si tu t'es promenée un peu.
- J'arrive.
- Ah ! Il y en a une à deux ou trois kilomètres d'ici ; une free où couleront probablement les drogues. Mais nous allons à l'autre, qui a l'air plus sérieuse. Ça s'est passé d'une façon ; tu vois, là : je réalise encore.
- Raconte ! »

Une voix d'homme est intervenue. Étouffée, lointaine, elle provenait de derrière moi... d'au-delà des cercles de menhirs tout autour. Elle appelait :

« Charlie ? T'es où ? »

La jeune fille a crié en retour :

« Je suis là ! Bouge pas d'où t'es, c'est très bien ! »

La chatte a bondi du trilithe de pierre, sur l'un de mes frères menhirs sur la droite.
Elle s'est lovée en rond, les yeux jaunes rivés sur la fille. Celle-ci contemplait l'avenue d'herbes et de pierres devant elle ; le regard perdu loin au-delà des menhirs.

Brisant le silence, elle a soupiré :

« Eh bien, pour commencer, tu vois ; je suis là.

Je n'y croyais pas beaucoup, pourtant. Même après notre rencontre sur la falaise ; je pensais avoir rêvé.

On a roulé pendant quatre heures. Enfin... roulé ; plané, selon l'expression favorite de Mister Supergol.

- Qui ?
- Fred ; le pote de mon mec. Auto-baptisé Café Fredo ; il se trouve frais et dynamique. Mais il adore le mot Supergol, ce mongol. Quand il a fait acheter sa caisse à mon mec, je te jure, le vendeur n'a pas eu à placer un mot ; avec Fred comme camelot l'affaire était vendue :

« Regarde ça ! Une aéro ! Avec toutes les options ; c'est du supergol !... Regarde ; tu rabats les tablettes dans le dos des sièges et ton film passe en hologramme... mais c'est du Supergol ! »

En sortant de chez le concessionnaire, j'ai regretté de ne pas avoir compté le nombre de fois où il a placé ce mot débile. Mais nous en ressortions avec une voiture pleine à craquer de supergol et un crédit à faire des coupes dans les loisirs, même avec la reprise de l'ancien véhicule en parfait état de marche.

Tout ça pour ne pas avoir l'air de gueux en teuf !

Ce warrior d'opérette se rase tout seul le crâne à la tondeuse, comme une grande ! Mais il ne doit pas savoir s'y prendre. Je n'ai jamais personnellement pratiqué l'auto-tonsure, mais je ne vois pas beaucoup de crânes rasés se balader la tête aussi rouge que Fred. Par plaques ! Ca doit le démanger ; il se gratte constamment !

Donc voilà, on est partis à quatre, à bord d'une voiture super-grise, mais supergolesque, super-chère et super-bruyante pour une super-technologie à coussins d'air.

Quatre heures !

Deux-cent-quarante minutes à se farcir des clips technos piratés sur le web le volume à fond !
Derrière moi, le Fred s'extasiait sur un genre de brouillard sombre et glauque en extrême basse résolution holographique censé représenter des danseurs devant un mur de son la nuit. A coté de lui, sa dernière conquête comptait une liasse de billets qu'elle gardait sur elle.

Leur plan était simple... enfin ; le plan de Fred ! Il appelait ça la mise de fond, sans préciser bien sûr que ça sortait de la poche de sa copine.

Tu vois, en fermant les yeux, j'entends encore sa voix de branleur :

« Le blème, en teuf, c'est pas dans la teuf elle-même, c'est sur les routes. C'est là que les keufs te contrôlent. Alors on n'amène rien avec nous, sauf des tunes. Une mise de fond quoi ! On achète le stock là-bas, on revend avec bénefs et on se dépouille avec la marge. »

- Le moins qu'on puisse dire, a commenté la chatte, c'est qu'il n'est pas discret !
- Pour ça, il faudrait qu'il se taise, de temps en temps ! Mais non ! Ça, c'est pas inscrit dans son code génétique ! Que voudrais-tu qu'il te raconte, s'il te déballait pas toute sa vie, et en boucle encore ?

Et cette techno mal enregistrée... je ne sais pas ! Elle saturait de partout. De la plus grave des basses au plus aigu des samples... à croire qu'elle avait aussi été enregistrée le volume à fond !

Assise à la place du mort, j'ai bien essayé d'y mettre mon grain de sel :

« Vous allez griller le poste !
- Tut, tut, s'est vanté Fredogol derrière moi ! T'y connais rien, trésor ! La teck, ça s'écoute le volume à donf ! »

Et devine quoi ; le poste a grillé.
On était presque arrivés !
Presque.

On a tourné encore pendant une heure.

- Ah bon ?
- Mais oui ! Une heure ! Comme plan pour arriver à bon port, on suivait un flyer internet ; une carte proposée en ligne par les organisateurs. Mais voilà ; dans le monde du Supergol, une seule machine centralise tout : auto-radio, GPS, machine à frittes et je te le donne en mille ; Internet !

Je leur avais dit, pourtant, au moment du départ :

« Je serais vous, je l'imprimerais. On va peut-être pas capter, là bas ! »

Bien sûr, Gogol a répondu :

« Tut, tut ! On n'est plus à l'âge de pierre ! Ça capterait un appel de détresse venu des fonds marins depuis le fin-fond du désert ! »

Mais comme c'est supergol !


Sauf que ça capte rien quand le son grille la machine.


Du coup, on s'est perdus... »

Stonehenge
Stonehenge

A suivre...
Eric Gélard

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