Supergol
Je me suis d'abord
retrouvé dans la pierre d'un menhir.
J'étais un menhir !
Le plus incroyable,
c'était de me sentir respirer quand-même ; comme me retrouver
au fond de l'eau dans un rêve... c'était de sentir sans bouger d'un
cheveu un vent légèrement salé parcourir ma surface !
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C'était d'être là,
au milieu d'une immense prairie d'un vert le plus pur et parsemée de
fleurs ; de pouvoir sans yeux distinguer le moindre brin
d'herbe, la moindre pâquerette... chaque insecte bourdonnant dans un
concert avec le vent, le coucou et la tourterelle au loin...
Tout était incroyable.
Et ça sentait bon !
Un parfum vert, presque
sucré.
Je voyais tout !
Sous un ciel d'un bleu
éblouissant.
La voix de Myrdhin
continuait de poser le décor :
« Il y a deux
autres grande pierres autour de vous ; une de chaque côté... »
L'un après l'autre,
j'ai vu d'autres menhirs sortir de l'herbe ; un à ma droite, un
de l'autre côté... trois autres, alignés plus loin, sur la
gauche... trois sur la droite... six autres plus loin encore ;
trois de chaque côté.
J'étais au sommet d'un
arc ovoïde de quinze menhirs disposés trois par trois.
« D'autres
pierres apparaissent, plus grandes encore... »
Derrière chaque
trinité de menhirs, de gigantesques constructions se sont dressées,
cachant une bonne partie du ciel. Chacune d'elles présentait trois
pierres ; deux pilier au moins trois fois plus hauts que les
premiers menhirs et un gros bloc couché dessus.
Tout autour s'est
dessiné un cercle de menhirs, puis plus loin encore un cercle de géants supportant d'autres pierres couchées... il y
en avait des dizaines !
J'étais au centre
d'une construction énorme.
Devant moi, quasiment à
mon pied, composé de trois pierres grises aussi ; quelque-chose
qui ressemblait à un autel. Long, plat, il paraissait minuscule au
regard du reste.
« C'est un banc,
poursuivait la voix douce du sorcier. La jeune fille vêtue de noir
vient s'asseoir dessus. Juste s'asseoir. »
La fille de mon rêve
est arrivée par l'avenue ainsi formée. Tunique et braies serrées
aussi noires que ses cheveux aux reflets aile de corbeau, elle s'est
assise sur le banc en pierre presque à mon pied.
Elle me tournait le
dos ; j'aurais pu me pencher sur elle.
Une voix féminine a
dit :
« Miracle-Express ;
bonjour ! »
J'ai de nouveau étendu
mes perceptions, mais au travers de centaines... de milliers, de
millions de minuscules grains de granit composant ma surface et aussi
celle de mes voisins.
La brise s'était
calmée ; mes grands frères trilithes me protégeaient du vent.
J'ai vu !
J'ai vu la chatte au
sommet d'un trilithe de pierre, sur la droite.
Ce n'était plus la
même !
J'ai murmuré :
« Elle n'est plus
noire mais grise ; entièrement grise avec un reflet bleu ! »
La jeune fille a levé
les yeux vers l'animal, s'écriant :
« C'est toi ? »
La chatte bleue a
répondu :
« Qui veux-tu que je
sois ? »
Elle parlait d'une voix
basse, grave mais indéniablement féminine.
« Tu n'es pas la
même, s'est étonnée la jeune-fille.
- Je passe de robe
en robe, c'est dans ma nature ! »
Elles ont laissé
passer quelques secondes sans rien dire, puis la chatte a dit :
« Alors ?
- Alors quoi ?
Tu veux que je te dise que t'avais raison ?
- Non ! Je veux
que tu me dises comment tu vas.
- Eh bien, t'avais
raison. J'ai suivi ton conseil ; j'ai accompagné mon mec et
son boulet en teuf. Apparemment, il y a deux rave-parties. T'as dû
déjà voir si tu t'es promenée un peu.
- J'arrive.
- Ah ! Il y en
a une à deux ou trois kilomètres d'ici ; une free où
couleront probablement les drogues. Mais nous allons à l'autre, qui
a l'air plus sérieuse. Ça s'est passé d'une façon ; tu
vois, là : je réalise encore.
- Raconte ! »
Une voix d'homme est
intervenue. Étouffée, lointaine, elle provenait de derrière moi...
d'au-delà des cercles de menhirs tout autour. Elle appelait :
« Charlie ?
T'es où ? »
La jeune fille a crié
en retour :
« Je suis là !
Bouge pas d'où t'es, c'est très bien ! »
La chatte a bondi du
trilithe de pierre, sur l'un de mes frères menhirs sur la droite.
Elle s'est lovée en
rond, les yeux jaunes rivés sur la fille. Celle-ci contemplait
l'avenue d'herbes et de pierres devant elle ; le regard perdu
loin au-delà des menhirs.
Brisant le silence,
elle a soupiré :
« Eh bien, pour
commencer, tu vois ; je suis là.
Je n'y croyais pas
beaucoup, pourtant. Même après notre rencontre sur la falaise ;
je pensais avoir rêvé.
On a roulé pendant
quatre heures. Enfin... roulé ; plané, selon l'expression
favorite de Mister Supergol.
- Qui ?
- Fred ; le
pote de mon mec. Auto-baptisé Café Fredo ; il se trouve frais
et dynamique. Mais il adore le mot Supergol, ce mongol. Quand il a
fait acheter sa caisse à mon mec, je te jure, le vendeur n'a pas eu
à placer un mot ; avec Fred comme camelot l'affaire était
vendue :
« Regarde ça !
Une aéro ! Avec toutes les options ; c'est du
supergol !... Regarde ; tu rabats les tablettes dans le dos
des sièges et ton film passe en hologramme... mais c'est du
Supergol ! »
En sortant de chez le
concessionnaire, j'ai regretté de ne pas avoir compté le nombre de
fois où il a placé ce mot débile. Mais nous en ressortions avec
une voiture pleine à craquer de supergol et un crédit à faire des
coupes dans les loisirs, même avec la reprise de l'ancien véhicule
en parfait état de marche.
Tout ça pour ne pas
avoir l'air de gueux en teuf !
Ce warrior d'opérette
se rase tout seul le crâne à la tondeuse, comme une grande !
Mais il ne doit pas savoir s'y prendre. Je n'ai jamais
personnellement pratiqué l'auto-tonsure, mais je ne vois pas
beaucoup de crânes rasés se balader la tête aussi rouge que Fred.
Par plaques ! Ca doit le démanger ; il se gratte
constamment !
Donc voilà, on est
partis à quatre, à bord d'une voiture super-grise, mais
supergolesque, super-chère et super-bruyante pour une
super-technologie à coussins d'air.
Quatre heures !
Deux-cent-quarante
minutes à se farcir des clips technos piratés sur le web le volume
à fond !
Derrière moi, le Fred
s'extasiait sur un genre de brouillard sombre et glauque en extrême
basse résolution holographique censé représenter des danseurs
devant un mur de son la nuit. A coté de lui, sa dernière conquête
comptait une liasse de billets qu'elle gardait sur elle.
Leur plan était
simple... enfin ; le plan de Fred ! Il appelait ça la mise
de fond, sans préciser bien sûr que ça sortait de la poche de sa
copine.
Tu vois, en fermant les
yeux, j'entends encore sa voix de branleur :
« Le
blème, en teuf, c'est pas dans la teuf elle-même, c'est sur les
routes. C'est là que les keufs te contrôlent. Alors on n'amène
rien avec nous, sauf des tunes. Une mise de fond quoi ! On
achète le stock là-bas, on revend avec bénefs et on se dépouille
avec la marge. »
- Le moins qu'on
puisse dire, a commenté la chatte, c'est qu'il n'est pas discret !
- Pour ça, il
faudrait qu'il se taise, de temps en temps ! Mais non !
Ça, c'est pas inscrit dans son code génétique ! Que
voudrais-tu qu'il te raconte, s'il te déballait pas toute sa vie,
et en boucle encore ?
Et cette techno mal
enregistrée... je ne sais pas ! Elle saturait de partout. De la
plus grave des basses au plus aigu des samples... à croire qu'elle avait aussi été
enregistrée le volume à fond !
Assise à la place du
mort, j'ai bien essayé d'y mettre mon grain de sel :
« Vous allez
griller le poste !
- Tut, tut, s'est
vanté Fredogol derrière moi ! T'y connais rien, trésor ! La teck, ça
s'écoute le volume à donf ! »
Et devine quoi ;
le poste a grillé.
On était presque
arrivés !
Presque.
On a tourné encore pendant une heure.
- Ah bon ?
- Mais oui !
Une heure ! Comme plan pour arriver à bon port, on suivait un
flyer internet ; une carte proposée en ligne par les organisateurs. Mais voilà ; dans le monde du Supergol, une seule machine
centralise tout : auto-radio, GPS, machine à frittes et je te
le donne en mille ; Internet !
Je leur avais dit,
pourtant, au moment du départ :
« Je serais vous,
je l'imprimerais. On va peut-être pas capter, là bas ! »
Bien sûr, Gogol a
répondu :
« Tut, tut !
On n'est plus à l'âge de pierre ! Ça capterait un appel de
détresse venu des fonds marins depuis le fin-fond du désert ! »
Mais comme c'est
supergol !
Sauf que ça capte rien
quand le son grille la machine.
Du coup, on s'est
perdus... »
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Stonehenge
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A suivre...
Eric Gélard
Eric Gélard
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