samedi 6 octobre 2012

Les Raves se racontent au présent 1.6

Gendarmerie Nationale !

Quelque part au pied d'un arbre, de nuit, près d'une rave qui fait trembler la terre...
Dans la pénombre d'un bosquet de châtaigniers, une voix féminine raconte :

« On avait roulé pendant quatre heures sans s'arrêter. Enfin, roulé... plané sur des coussins d'air à micro-tornades. Quatre heures en écoutant une techno mal enregistrée le volume à fond, pour finalement se perdre presque au pied d'un montagne, en pleine nuit, en cherchant un village breton dans les Cévennes. En cherchant un patelin qu'on n'arrêtait pas de traverser parce qu'on savait pas que c'était là ! Parce que Monsieur Je sais Tout Café Fredo Regardez-Moi Comme Je Suis Frais Comme Je Suis Dynamique Comme Je Suis Con pouvait pas admettre que des pecnots de montagne s'étaient éventuellement foutus de sa gueule, en nous prévenant pas que nevez, en breton, ça veut dire nouveau !

- Eh ! Respire, intervient une autre voix féminine !
- Désolée ! Mais quand-même ; degemer mat et Remungol Nevez ! En cherchant la Nouvelle Remungol, y'a de quoi se poiler, non ? Merci, les Pépères, sur leur banc public ! Sans eux, on chercherait encore ! Sans eux, jamais on n'aurait su qu'il fallait s'adresser aux gendarmes, à l'entrée du chemin qui mène au Tek-Noz !

Et l'autre empaffé, là, derrière, s'excitait par peur d'affronter la maréchaussée ! Quand je l'ai remis à sa place, tiens ; le ton a changé ! Monsieur prétendait pouvoir embobiner la police pour savoir où trouver le tekos.

Sous les étoiles, entassés à quatre dans une tornade volante grise, mon mec au volant et la copine de Nounouille, à l'arrière, qui avait enfin fini de compter sa fortune... je sais pas. On me l'aurait raconté, j'y aurais pas cru !

On approchait de l'endroit où on avait repéré les gendarmes, la première fois. On approchait dans le silence, je te rappelle que Ducon avait fini par griller l'auto-radio, fusillant du même coup le GPS et le seul accès internet de la voiture.

Là, sur la gauche, à l'entrée d'un embranchement de terre en patte d'oie nous attendaient la fourgonnette et les deux motos, accompagnées de leurs six gendarmes. Le van blanc avait disparu, probablement déjà garé sur le parking de la teuf. L'un des chemins, celui de gauche, était barré d'un ruban jaune et gardé par deux de ces messieurs en uniformes. Tous deux portaient un casque de moto à visière informatique. Même de loin, on pouvait voir défiler des lignes d'informations blanches sur fond noir. Evidemment, pas moyen de voir leurs visages !
Derrière le ruban de la police, un panneau indiquait : « Carrières de Kerfondu ».

L'autre chemin semblait libre d'accès. Près de la fourgonnette attendaient trois gendarmes à casquettes et une gendarmette. Ses formes généreuses étaient visibles sous son uniforme.

Quand mon mec a baissé sa vitre, la femme s'est présentée à la fenêtre. Elle portait la casquette réglementaire, tu sais, avec un écran transparent qui pend sous la visière. Je me suis toujours demandée comment ils arrivaient à nous voir, avec toutes ces informations défilant devant leurs yeux. Des lignes de texte, des chiffres... je pourrais pas, moi ! Elle nous a salués en disant d'une voix grave :

« Gendarmerie Nationale ! »

Et là, tu sais ce qu'il a dit, Fred, derrière moi ?
Il a dit :

« Sans blagues ! Merci de nous le dire ; on n'aurait pas deviné ! »

La gendarme a juste jeté un bref regard vers lui. Pendant que ses trois collègues inspectaient le tour de la voiture, elle a brandi un petit écran lcd à mon homme en disant :

« Veuillez apposer votre pouce sur le pad, s'il-vous-plaît ! »

Je t'assure ! Ils étaient trois à faire le tour de la caisse ! Et pour inspecter quoi ? Si c'est pas de la méthode d'intimidation, ça, alors moi, je vais direct me faire enfermer dans un couvent ! Tu crois que ça l'aurait retenu, Nounouille ? Mais non ! Tandis que mon mec obtempérait en posant son pouce droit sur le pad, Fred s'est exclamé depuis la banquette arrière :

« Vous devez être contents, maintenant que vous avez les empreintes digitales de tout le monde ! Bienvenue en mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatre ! »

Ce disant, il baissait sa propre vitre. Ça faisait : vvvvvvv... Je suis sûre qu'il se croyait discret !

« Je connais ce vieux film, Monsieur, a répondu la gendarme sans perdre son calme. »

Devant ses yeux, on pouvait voir la photo de mon mec, juste sous sa visière. Elle était accompagnée d'informations en caractères inversés.

« Nous ne forçons personne, poursuivait-elle.
- Seulement les automobilistes, insistait Fred en s'accoudant l'air de rien sur sa portière !
- Nous ne forçons personne à conduire ! »

Puis, à l'intention de mon homme :

« Vos permis et assurances sont en règle. Je vois que le véhicule est neuf ! »

Et tu sais quoi, mon mec a même pas eu le temps de répondre. Ce soir, le Fred avait décidé de se faire une gendarme. La tête presque hors du véhicule, il a lancé :

« Ben voyons ! Et c'est quoi, cette campagne médiatique... attendez voir ; comment c'est ? Ah, ouais : Donnez vos Empreintes ! »

La gendarme a lâché mon mec pour se tourner vers Fred. Quelque-part derrière elle, on entendait les vibrations de ce qui ne pouvait être que de la musique techno. En soupirant, elle a dit :

« Justement, nous ne forçons personne ! Les gens honnêtes les donnent spontanément, leurs empreintes. Qu'est-ce qui vous fait peur ? »

J'ai cru qu'on aurait droit à une fouille complète de la voiture. Je savais que la copine de Fred se trimbalait du hashish ; j'avais dû me battre pour lui interdire d'enfumer le véhicule. Et ce con là qui provoquait... quoi ? Même en y regardant bien... j'y connais rien, aux insignes ! Mais là, on était contrôlés par une femme qui me semblait savoir se contrôler elle-même, pendant que trois mecs en uniformes faisaient semblant d'inspecter les pare-chocs !

C'était au-moins une adjudante !
Et le Fred qui faisait son coq !
On étais carrément bons pour la sonde anale !
Abandonnant sa fenêtre, il s'est quasiment allongé sur les genoux de sa copine pour ouvrir la vitre de gauche. On était en plein été indien, mais j'ai senti un courant d'air froid me hérisser la nuque.
La gendarme l'a regardé faire. Puis elle s'est approchée de mon mec, à l'avant, presque à rentrer sa tête dans la voiture... j'ai vu avancer la photo de Yo jusqu'à le toucher lui-même. Avec un sourire effroyable, elle lui a dit :

« Dites-moi que vous les avez pris en stop et je vous pardonne. »

Triturant ses cheveux courts, mon mec a répondu :

« Heu... oui, oui ! On les a pris en stop ! »

Ensuite, elle m'a regardé... j'en menais pas large !

« Hého, vous faites quoi, là, commençait Fred, tendant l'oreille gauche hors du véhicule.
- Mais bordel de merde, tu vas la fermer, oui ? »

Une fois de plus, j'ai explosé, comme ça, littéralement ; sous les yeux ébahis de la femme flic ! Je lui ai crié bordel de merde, au Fred ! Il a sursauté tellement fort qu'il s'est pris le haut de la portière.

« Calmez-vous, mademoiselle, m'a dit la gendarme. Ecoutez... »

Son sourire avait disparu. Elle avait l'air ennuyée, comme prise en faute pour avoir eu la mauvaise attitude.
La main sur sa future bosse, Ducon était revenu à sa place.

« Vous venez du Morbihan, demandait la gendarme ? »

Mon mec a répondu timidement :

« Oui !
- Je suppose que vous allez au Tek-Noz ?
- C'est ça ! On va au Tek-Noz.
- Consommez-vous des stupéfiants ?
- Non ! Absolument pas ! »

Derrière, la copine de Fred semblait ailleurs. Son regard explosé de junkie de merde se perdait dans les bois à travers la fenêtre ouverte. Tu vois, même là, je saurais pas te dire son nom. Mais à cet instant précis, je les aurais bien débarqués là, elle et Fred ; qu'ils se démerdent avec la police ! 
Là bas, assez loin vers la gauche, au-delà des deux motards qui gardaient le chemin fermé, on entendait les vibrations et les cris d'une fête en extérieur.
La gendarme a repris :

« Donc, vous n'en possédez pas non-plus ?
- Non, M'dame !
- Eh bien, vous empruntez le chemin de droite. Vous allez tout droit sur cinq-cent mètres. Là, le sentier va descendre en lacets. Je vous conseille de déplier votre essieu ; il y a un à-pic. De toute façon, vous arriverez dans une plaine herbeuse. Vous verrez, vous ne serez pas dépaysés ; en bas, c'est la Bretagne ! On vous placera. Bonne soirée ! »

Elle s'est redressée pour nous laisser passer.
Et on est passés !

Toujours sur coussins d'air, on s'est engagés sur le chemin libre ; un large sentier forestier.

Sur cent mètres, personne n'a rien dit.
Mais après un virage à droite, Fred s'est exclamé :

« Gare toi là ! »

Yohann a ralenti, mais sans se garer.

- Yohann, intervient l'autre voix féminine ?
- Mon mec, répond la conteuse.
- Oh !
- Je croyais te l'avoir dit ! De toute façon, on peut pas être trente-six au volant !
- Pardon ! Continue !
- D'ailleurs, quand je dis au volant ; dans ces aéros, ça ressemble plus à un manche à balais. Tu sais, comme dans un avion : deux arcs de cercle à chaque bout d'un axe. Il l'a même pas tourné, il a juste freiné. Devant nous, sur la gauche se dressait une fontaine en pierre. Une belle fontaine ; propre, mais fermée. Juste une vasque en pierre sous une dalle verticale ornée d'un robinet. Au-dessus de celui-ci, une inscription gravée indiquait : Potable.

J'ai demandé :

« T'as soif ? Y'a de l'eau, dans le coffre ! »

Gudule a répondu d'un air désabusé :

« Mais non ! Pfff »

Puis, en tapotant l'épaule de Yo :

« Vas-y, vas-y ; gare toi ! »

Mon mec nous a garés sur le côté, près de la fontaine.

« Coupe ton moteur ! »

Obéissant à Supergol, Yohann a passé le pouce sur un capteur près du volant ; le moteur s'est arrêté. Il a demandé :

« Et alors ?
- Shhht, faisait Fred en tendant l'oreille dehors. »

On n'entendait presque rien.
Juste cette vibration, sur la gauche, qui semblait faire trembler la terre.
Fred a dit :

« Vous entendez ? »

Sa junkie a vaguement tourné ses tresses dans la direction indiquée. J'ai baissé ma vitre. On entendait distinctement de la techno, par là-bas... des cris, aussi. On y faisait manifestement la fête.

« Vous voyez, insistait Fred ? C'est là bas ! C'est pas devant ! C'est pas dans la plaine ! Les keufs nous baladent ; je vous l'avais dit !
- Quel intérêt, j'ai demandé, ils auraient à nous balader comme ça ? Ils doivent bien savoir qu'on va revenir !
- Mais t'as pas vu le chemin barré ? Il veulent pas qu'on y aille, c'est évident, Gougourde ! T'as pas vu le panneau ?
- Mais quel panneau ?
- Des carrières ! Des carrières de pierre, Cocotte ! C'est l'idéal pour poser un tekos ! C'est là-bas, je vous dis ! »

Mon mec, lui, ne disait rien. Il nous regardait, successivement. Finalement, il s'est décidé :

« Tu proposes quoi ? On se gare là et on y va à pieds ?
- Tu rigoles ou quoi, s'excitait Fred ? Tu conduis une planante ! Vas-y ; à travers bois ! »

Les bois, eux, ne me semblaient pas très engageants. Le sous-bois semblait propre. C'était une forêt de châtaigniers. Mais je n'en avais jamais vue de comme ça, en Bretagne.Tu vois, chez-nous, on y trouve des arbres et, éventuellement, des bosquets d'arbuste, d'ajoncs, de buissons... de petites choses quoi ; pas des bosquets d'arbres ! Et en tout-cas pas comme ceux-là !

J'arrive même pas à trouver les mots pour te décrire ça.

- Essaie quand-même !
- Eh bien...

Je vais te dire : j'ai d'abord vu un marquage à la peinture ; une ligne rouge au-dessus d'une ligne jaune. On était sur un G.R. ! Mon mec et moi, on adore la randonnée ! Enfin... on pratiquait, jusqu'à-ce que le parasite re-débarque dans sa vie. On était sur un chemin de grande randonnée, quoi !

Mais au lieu de le voir sur un arbre, le marquage, je l'ai vu sur le barreau d'une cage !

Je t'assure ! Là, à gauche, c'était une forêt de grands châtaigniers, mais comme enfermés dans des parcs à bébés ! Des arbres ordinaires, mais entourés de barreaux ! Droits, fins, disposés en cercles, de vraies prisons ! Pendant un moment, j'ai vraiment cru que les indigènes avaient enfermé les arbres dans des cellules de métal. L'espace d'un instant, je me suis dit : ça peut pas s'échapper, un arbre, donc, ça doit être pour les protéger des touristes !

Mais non ! Yohann, s'est décidé. Il a rallumé le moteur. Braquant à gauche, il nous a engagés entre les arbres, dans la direction du son. Là, j'ai vu que c'était pas du métal.

- Quoi, les arbres ?
- Non, les barreaux ! Enfin, si ; les arbres !
- Des rejetons !
- Pardon ?
- De jeunes arbres. En Bretagne, il y a du vent partout et dans tous les sens. Du coup, les rejetons poussent où ils veulent.
- Ah, d'accord ! Ha, ha ! Ça doit être pour ça qu'ya des bretons partout dans le monde !
- Non, sans rire ! Ici, dans les Cévennes, aux endroits protégés du vent les jeunes châtaigniers poussent en cercle autour de leurs parents.
- Dis-donc, t'en connais, pour une chatte !
- J'ai vu du pays.
- En tout cas, c'est lugubre ! Des arbres en prison...
- Et encore, t'étais en voiture, t'as rien entendu !
- Comment ça ?
- Ici, à pied, dans les bois, on entend les rejetons grincer contre les branches des grands arbres. Ça donne comme des voix fantomatiques, surtout la nuit.
- Ah ouais ? Eh ben, même sans les entendre, j'étais pas très rassurée, en passant entre ces arbres en cage. Même en voiture !
On a fini par retrouver l'autre chemin ; celui des carrières. C'était un autre G.R. ; le marquage sur les arbres était différent. Une ligne jaune entre deux rouges.

Yohann s'est engagé dessus. Désormais, même sans mettre la tête dehors, on entendait la musique techno, droit devant. On planait vitres ouvertes et je commençais à avoir sérieusement froid.
Et voilà ! Grâce au Fred, nous avions trouvé le chemin d'un tekos où les gendarmes ne voulaient manifestement pas qu'on aille. »


A suivre...

1 commentaire:

  1. Question : en quelle année se passe le Tek-Noz ? Un écusson des chevaliers à qui trouve.

    RépondreSupprimer