vendredi 7 septembre 2012

Squirrelboy 1.2

Lève-toi !


Allez ; relève-toi !

« Non ! »

S'il te plaît !

« Je veux pas ! »

Allez ; vas-y !
Tu es tombé ; relève-toi !

« J'suis pas tombé : je me suis assis ! »

Dans les ronces ?

« Tu peux pas comprendre ! »

Tu veux que je te donne une potiche ?

« Pardon ? »

Heu... non, ça ; laisse tomber : là, c'est toi qui peux pas comprendre.

« Mais enfin... t'es qui ? Pourquoi je t'entends ; t'es où ? »

Peu importe !

« Ah, mais moi ; je veux savoir ! »

Tu te souviens pas ? Tu m'as créé !

« Comment ça ? »

Tu te sentais seul.

« J'étais pas seul ! »

Tu parles !

Allez ; lève-toi !

« Non ! »

Alors tant-pis pour toi !

« C'est ça ! Tant-pis pour moi !

De toute façon, l'araignée a mangé la chenille !
Tu vas voir ; les ronces finiront par me manger aussi !

Eh !

T'es où ?

Oho !

Pfff ! C'est ça ; casse-toi !
J'ai pas besoin de toi, j'ai l'autre chenille !

Où est-elle passée, d'ailleurs ?
C'est vrai que je suis assis dans les ronces !
Qu'est-ce que ça peut lui faire, à lui ?

Levant la tête, je crie :

« Hého ! »

Seul un écho renvoie mon appel.

Bon.

Mais l'autre chenille a dû plonger entre les feuilles mortes agrafées sur ma barbe.
L'araignée aussi a disparu !
Je vois moins ; la lumière décline.
Je suis empêtré dans les fougères et les ronces ; je vois à peine la cime des arbres.

Quelque-chose a bougé, là haut !
C'était furtif !

J'entends trotter, derrière moi... je me retourne ; sur le chemin que j'ai taillé dans les ronces arrive un écureuil.
Prudemment, sinuant par petits bonds entre les ronces étalées par terre.

Il s'arrête, me voit.
A la lueur du crépuscule naissant, il paraît brun et non orange. Mais je le connais !

L'écureuil fait encore deux bonds. Il lève la tête vers moi, tend le cou... d'une toute petite voix, il dit à toute vitesse :

« T'es parti ! »

Je réponds :

« Ben ; oui ! »

L'animal regarde autour de lui. Il lève la tête vers le ciel et s'écrie :

« Parti ! »

Tout autour, un chant de voix minuscules jaillit des arbres alentours :

« Parti !
- Parti !
- Parti !... »

Des dizaines de petites voix se renvoient le mot dans la frénésie du feuillage des arbres.

« Parti !
- Parti !
- Parti !... »

Le chant continue pendant quelques secondes puis se calme.

Presque à mes pieds nus, calleux et ensanglantés, le premier écureuil me regarde à nouveau.
Je m'exclame :

« C'était plus possible ! »

Il fait encore un bond ; atterrit entre mes jambes.
Levant la tête, il demande :

« Pourquoi ? »

Quelques voix lui fond écho dans la cime des arbres :

« Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?!... »

Assis dans les ronces avec pour toute pudeur une longue barbe peuplée de chenilles... couvert de terre et déchiré par les épines, je dis :

« C'est pas contre vous ! Mais vivre avec les puces, c'était plus possible. Et puis, dormir en haut d'un arbre ; c'est pas fait pour moi.
- Oh ! »

L'écureuil lève à nouveau la tête vers le ciel. Il s'écrie :

« Partiiiii ! »

Personne ne répond. L'animal reste ainsi la tête levée pendant quelques secondes.
Finalement, il retombe sur ses pattes avant ; lève les yeux vers moi :

« Reviens ! Dit-il de sa toute petite voix. »

Je réponds :

« Je peux pas !
- Reviens !
- Reviens !
- Reviens !... »

Chantent les arbres alentours.
A nouveau ; les voix se calment.

Toujours ; je réponds :

« Je ne peux pas ! »

Mais le chant des arbres change.
Alors que certaines voix chantent encore :

« Reviens ! »

D'autres se mêlent à elles pour demander :

« Pourquoi ?
- Reviens !
 - Reviens !
 -Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Reviens !
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?... »

Jusqu'au premier entre mes genoux qui se relève et dit :

« Pourquoi ?
- Je dois retrouver les miens ! »

Mon petit écureuil s'écrie alors :

« Famille ! »

Son cri est repris par les arbres :

« Famille !
- Famille !
- Famille !... »

Je m'exclame :

« Non ! Pas vous ! »

Un écho répercute mon cri tandis que les écureuils se taisent.
Le premier, devant moi, prend une grande inspiration et demande :

« Qui ?
- Qui ?
- Qui, renvoient ses frères ?...
- Eh bien ; les miens ! Les gens comme moi : marchant sur deux pattes et par-terre ; pas en haut des arbres ! »

D'une voix mourante, je termine :

« Des gens qui portent des vêtements, quoi ; ça me manque ! »

L'écureuil penche la tête sur le côté...
Il reste ainsi quelques secondes, puis :

« Comme toi ?
- Oui ; comme moi ! »

Les petits yeux noirs de l'animal se perdent à nouveau dans le vide.
Finalement, il se retourne ; il s'éloigne d'un bond.
Il se redresse, tourne encore la tête vers moi :

« Viens, dit-il ! »

Je réponds :

« Non ; je ne veux pas !
- Viens, insiste-t-il ! Comme toi ; viens ! »

Il me fixe quelques secondes encore, puis tourne la tête vers le bois hors des ronces.
Il lance :

« C'est par là ! »

Surpris, je m'étonne :

« Tu sais où ils sont ?
- C'est par là, répète-t-il !
- Qui ; les miens ?
- Oui, répond l'écureuil ! Par là ! »

Sa tête fait maintenant le va-et-vient entre moi et la sortie.

« C'est par là, lance-t-il encore. »

La frénésie a repris dans les arbres. Les feuillages tremblent ; les écureuils courent sur les branches, chantant de leurs voix :

« Par là !
- Par là !
- C'est par là !... »

Je reste encore assis dans les ronces.

Il y a un instant, j'ai parlé avec une voix imaginaire ; je m'en souviens bien.
Un écureuil vient de me dire qu'il connaît ma route ; tout va bien !

Quitte à se laisser mourir !

« Autant le faire en marchant, dis-je à l'écureuil !
- Marchant ?
- Oui, en marchant ! »

Laborieusement, je pose les mains entre les ronces.
J'ai mal partout, mais je ne sens pas mes pieds.

Je les pose à leur tour, je pousse sur mes bras...
Je finis par me retrouver debout.

Je fais un pas en évitant les ronces...

« Viens, s'écrie l'écureuil ! »

Il fait un bond, puis deux... s'éloigne de moi.
Je le suis...
Un bond après l'autre, il me sort des ronces.

Il fait déjà presque nuit.
Je suis revenu dans un sous-bois plus propre. Je reconnais des buissons de houx entre les châtaigniers. Sur un tronc, à hauteur de mes yeux, l'écureuil m'attend.

Il dit :

« C'est par là ! »

Je m'approche de lui... je lui demande :

« Par où ?
- C'est par là, répond-il ! »

plus loin, une autre voix répète :

« Par là ! »

C'est un autre écureuil, perché sur un tronc ! Il y en a d'autres plus loin ; chacun sur son arbre.

« C'est par là, chantent-il tous ! »

Ils me montrent un chemin !
Les écureuils se sont disposés en zig-zag sur les arbres ; chacun le sien.
Un pas après l'autre, je passe entre eux. Chacun me suit de la tête en répétant :

« C'est par là !
- Par là !
- C'est par là !... »

Il y manquerait presque une révérence.
Je parcours le chemin des écureuils.

Les feuilles mortes tombent une à une de ma barbe.

Il fait nuit.
Au fond des bois, nu comme un ver...

Guidé par les écureuils, je marche. »


A suivre...
Eric Gélard

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire